de l’Eglise catholique apostolique romaine
admin | 15 avril 2010Ces derniers jours le très saint Père et à travers lui toute l’église catholique apostolique romaine est l’objet des plus virulentes attaques. Les faits reprochés à quelques prêtres, à quelques évêques sortent de toutes parts, partout soudain on se met à fouiller et à trouver des liens entre nombre de ces religieux incriminés et celui qui fut le cardinal Ratzinger avant de devenir pape.
Je ne suis pas un grand adepte des théories du complot, et étant qui plus est parfaitement athée mais gardant respect et compréhension pour ceux qui croient en un ou des Dieu(x), je n’ai pas non plus pour habitude de m’immiscer dans leur modes d’organisation, dans leurs débats vestimentaires, m’exprimant en général que lorsque la religion sert d’alibi ou de complice aux ennemis de la démocratie, des droits de l’homme ou prétend nous dicter qui nous devons aimer ou pas. Mon propos n’est donc pas d’accabler ici cette si vénérée institution en rappelant le rôle de la hiérarchie catholique durant la dictature argentine assistant les militaires lors des séances de torture ou participant à l’enlèvement des enfants des « rouges » . Non tel n’est pas mon propos.
Ce qui motive ce billet, c’est ce commentaire laissée par une personne que j’estime sur facebook, indiquant que l’Église catholique est bien mal en point « aujourd’hui« .
Nous sommes nombreux je pense de ma génération à avoir été contraints de lire « Les confessions » de Jean-Jacques Rousseau. Par chance j’avais lu le tome 1 des confessions avant le diktat professoral (je n’ai du coup jamais lu le tome II me contentant des résumés et fiches en vente en librairie). L’ayant lu de mon propre cher, il m’impressionna fortement. Au point de mettre ce matin moins de 5 minutes à retrouver le passage que la réflexion précédemment évoquée m’avait remémoré. Une fois le passage trouvé il fut aisé sur internet de repérer un site (en l’occurrence http://www.lettres.org/confessions/confessions.htm) m’épargnant de retaper le dit passage. Afin d’éviter tout malentendu je cite large pour ne pas être accusé de replacer hors contexte l’extrait que vous trouverez en gras le passage gravé dans ma mémoire. Ce passage est bien connu, je ne prétends à nulle découverte. Je rappelle que les événements décrits se passent en 1728 (JJ Rousseau à 15/16 ans) :
« […] J’avais des lettres, je les portai ; et tout de suite je fus mené à l’Hospice des catéchumènes, pour y être instruit dans la religion pour laquelle on me vendait ma subsistance. En entrant je vis une grosse porte à barreaux de fer, qui dès que je fus passé fut fermée à double tour sur mes talons. Ce début me parut plus imposant qu’agréable, et commençait à me donner à penser, quand on me fit entrer dans une grande pièce. J’y vis pour tout meuble un autel de bois surmonté d’un grand crucifix au fond de la chambre, et autour quatre ou cinq chaises aussi de bois, qui paraissaient avoir été cirées, mais qui seulement étaient luisantes à force de s’en servir et de les frotter. Dans cette salle d’assemblée étaient quatre ou cinq affreux bandits, mes camarades d’instruction, et qui semblaient plutôt des archers du diable que des aspirants à se faire enfants de Dieu. Deux de ces coquins étaient des Esclavons, qui se disaient Juifs et Maures, et qui, comme ils me l’avouèrent, passaient leur vie à courir l’Espagne et l’Italie, embrassant le christianisme et se faisant baptiser partout où le produit en valait la peine. On ouvrit une autre porte de fer qui partageait en deux un grand balcon régnant sur la cour. Par cette porte entrèrent nos sœurs les catéchumènes, qui comme moi s’allaient régénérer, non par le baptême, mais par une solennelle abjuration. C’étaient bien les plus grandes salopes et les plus vilaines coureuses qui jamais aient empuanti le bercail du Seigneur. Une seule me parut jolie et assez intéressante. Elle était à peu près de mon âge, peut-être un an ou deux de plus. Elle avait des yeux fripons qui rencontraient quelquefois les miens. Cela m’inspira quelque désir de faire connaissance avec elle : mais, pendant près de deux mois qu’elle demeura encore dans cette maison, où elle était depuis trois, il me fut absolument impossible de l’accoster, tant elle était recommandée à notre vieille geôlière, et obsédée par le saint missionnaire, qui travaillait à sa conversion avec plus de zèle que de diligence. Il fallait qu’elle fût extrêmement stupide, quoiqu’elle n’en eût pas l’air, car jamais instruction ne fut plus longue. Le saint homme ne la trouvait toujours point en état d’abjurer. Mais elle s’ennuya de sa clôture, et dit qu’elle voulait sortir, chrétienne ou non. Il fallut la prendre au mot tandis qu’elle consentait encore à l’être, de peur qu’elle ne se mutinât et qu’elle ne le voulût plus.
La petite communauté fut assemblée en l’honneur du nouveau venu. On nous fit une courte exhortation : à moi, pour m’engager à répondre à la grâce que Dieu me faisait ; aux autres, pour les inviter à m’accorder leurs prières et à m’édifier par leurs exemples. Après quoi, nos vierges étant rentrées dans leur clôture, j’eus le temps de m’étonner tout à mon aise de celle où je me trouvais.
Le lendemain matin on nous assembla de nouveau pour l’instruction, et ce fut alors que je commençai à réfléchir pour la première fois sur le pas que j’allais faire et sur les démarches qui m’y avaient entraîné.
J’ai dit, je répète et je répéterai peut-être une chose dont je suis tous les jours plus pénétré ; c’est que si jamais enfant reçut une éducation raisonnable et saine, ç’a été moi. Né dans une famille que ses mœurs distinguaient du peuple, je n’avais reçu que des leçons de sagesse et des exemples d’honneur de tous mes parents. Mon père, quoique homme de plaisir, avait non seulement une probité sûre, mais beaucoup de religion.
Galant homme dans le monde, et chrétien dans l’intérieur, il m’avait inspiré de bonne heure les sentiments dont il était pénétré. De mes trois tantes, toutes sages et vertueuses, les deux aînées étaient dévotes, et la troisième, fille à la fois pleine de grâces, d’esprit et de sens, l’était peut-être encore plus qu’elles, quoique avec moins d’ostentation. Du sein de cette estimable famille, je passai chez M. Lambercier, qui, bien qu’homme d’Eglise et prédicateur, était croyant en dedans et faisait presque aussi bien qu’il disait.
Sa sœur et lui cultivèrent, par des instructions douces et judicieuses, les principes de piété qu’ils trouvèrent dans mon cœur. Ces dignes gens employèrent pour cela des moyens si vrais, si discrets, si raisonnables, que, loin de m’ennuyer au sermon, je n’en sortais jamais sans être intérieurement touché et sans faire des résolutions de bien vivre, auxquelles je manquais rarement en y pensant. Chez ma tante Bernard la dévotion m’ennuyait un peu plus, parce qu’elle en faisait un métier. Chez mon maître je n’y pensais plus guère, sans pourtant penser différemment. Je ne trouvai point de jeunes gens qui me pervertissent. Je devins polisson, mais non libertin.
J’avais donc de la religion tout ce qu’un enfant à l’âge où j’étais en pouvait avoir. J’en avais même davantage, car pourquoi déguiser ici ma pensée ? Mon enfance ne fut point d’un enfant : je sentis, je pensai toujours en homme. Ce n’est qu’en grandissant que je suis rentré dans la classe ordinaire : en naissant, j’en étais sorti. L’on rira de me voir me donner modestement pour un prodige. Soit : mais quand on aura bien ri, qu’on trouve un enfant qu’à six ans les romans attachent, intéressent, transportent au point d’en pleurer à chaudes larmes ; alors je sentirai ma vanité ridicule, et je conviendrai que j’ai tort.
Ainsi, quand j’ai dit qu’il ne fallait point parler aux enfants de religion si l’on voulait qu’un jour ils en eussent, et qu’ils étaient incapables de connaître Dieu, même à notre manière, j’ai tiré mon sentiment de mes observations, non de ma propre expérience : je savais qu’elle ne concluait rien pour les autres. Trouvez des J.-J. Rousseau à six ans, et parlez-leur de Dieu à sept, je vous réponds que vous ne courez aucun risque.
On sent, je crois, qu’avoir de la religion, pour un enfant, et même pour un homme, c’est suivre celle où il est né. Quelquefois on en ôte : rarement on y ajoute : la foi dogmatique est un fruit de l’éducation. Outre ce principe commun qui m’attachait au culte de mes pères, j’avais l’aversion particulière à notre ville pour le catholicisme, qu’on nous donnait pour une affreuse idolâtrie, et dont on nous peignait le clergé sous les plus noires couleurs. Ce sentiment allait si loin chez moi qu’au commencement je n’entrevoyais jamais le dedans d’une église, je ne rencontrais jamais un prêtre en surplis, je n’entendais jamais la sonnette d’une procession sans un frémissement de terreur et d’effroi, qui me quitta bientôt dans les villes mais qui souvent m’a repris dans les paroisses de campagne, plus semblables à celles où je l’avais d’abord éprouvé. Il est vrai que cette impression était singulièrement contrastée par le souvenir des caresses que les curés des environs de Genève font volontiers aux enfants de la ville. En même temps que la sonnette du viatique me faisait peur, la cloche de la messe ou de vêpres me rappelait un déjeuner, un goûter, du beurre frais, des fruits, du laitage. Le bon dîner de M. de Pontverre avait produit encore un grand effet. Ainsi je m’étais aisément étourdi sur tout cela. N’envisageant le papisme que par ses liaisons avec les amusements et la gourmandise, je m’étais apprivoisé sans peine avec l’idée d’y vivre ; mais celle d’y entrer solennellement ne s’était présentée à moi qu’en fuyant, et dans un avenir éloigné. Dans ce moment il n’y eut plus moyen de prendre le change : je vis avec l’horreur la plus vive l’espèce d’engagement que j’avais pris et sa suite inévitable. Les futurs néophytes que j’avais autour de moi n’étaient pas propres à y soutenir mon courage par leur exemple, et je ne pus me dissimuler que la sainte œuvre que j’allais faire n’était au fond que l’action d’un bandit. Tout jeune encore, je sentis que, quelque religion qui fût la vraie, j’allais vendre la mienne, et que, quand même je choisirais bien, j’allais au fond de mon cœur mentir au Saint-Esprit et mériter le mépris des hommes. Plus j’y pensais, plus je m’indignais contre moi-même ; et je gémissais du sort qui m’avait amené là, comme si ce sort n’eût pas été mon ouvrage. Il y eut des moments où ces réflexions devinrent si fortes, que si j’avais un instant trouvé la porte ouverte, je me serais certainement évadé ; mais il ne me fut pas possible, et cette résolution ne tint pas non plus bien fortement.
Trop de désirs secrets la combattaient pour ne la pas vaincre. D’ailleurs, l’obstination du dessein formé de ne pas retourner à Genève, la honte, la difficulté même de repasser les monts, l’embarras de me voir loin de mon pays, sans amis, sans ressources ; tout cela concourait à me faire regarder comme un repentir tardif les remords de ma conscience ; j’affectais de me reprocher ce que j’avais fait, pour excuser ce que j’allais faire. En aggravant les torts du passé, j’en regardais l’avenir comme une suite nécessaire. Je ne me disais pas : rien n’est fait encore et tu peux être innocent si tu veux ; mais je me disais : gémis du crime dont tu t’es rendu coupable et que tu t’es mis dans la nécessité d’achever.
En effet, quelle rare force d’âme ne me fallait-il point à mon âge pour révoquer tout ce que jusque-là j’avais pu promettre ou laissé espérer, pour rompre les chaînes que je m’étais données, pour déclarer avec intrépidité que je voulais rester dans la religion de mes pères, au risque de tout ce qui en pouvait arriver ! Cette vigueur n’était pas de mon âge, et il est peu probable qu’elle eût eu un heureux succès. Les choses étaient trop avancées pour qu’on voulût en avoir le démenti, et plus ma résistance eût été grande, plus de manière ou d’autre, on se fût fait une loi de la surmonter.
Le sophisme qui me perdit est celui de la plupart des hommes, qui se plaignent de manquer de force quand il est déjà trop tard pour en user. La vertu ne nous coûte que par notre faute, et si nous voulions être toujours sages, rarement aurions-nous besoin d’être vertueux. Mais des penchants faciles à surmonter nous entraînent sans résistance : nous cédons à des tentations légères dont nous méprisons le danger. Insensiblement nous tombons dans des situations périlleuses, dont nous pouvions aisément nous garantir, mais dont nous ne pouvons plus nous tirer sans des efforts héroïques qui nous effrayent, et nous tombons enfin dans l’abîme en disant à Dieu : » Pourquoi m’as-tu fait si faible ? » Mais malgré nous il répond à nos consciences : » Je t’ai fait trop faible pour sortir du gouffre, parce que je t’ai fait assez fort pour n’y pas tomber. «
Je ne pris pas précisément la résolution de me faire catholique ; mais, voyant le terme encore éloigné, je pris le temps de m’apprivoiser à cette idée, et en attendant je me figurais quelque événement imprévu qui me tirerait d’embarras. Je résolus, pour gagner du temps, de faire la plus belle défense qu’il me serait possible. Bientôt ma vanité me dispensa de songer à ma résolution, et dès que je m’aperçus que j’embarrassais quelquefois ceux qui voulaient m’instruire, il ne m’en fallut pas davantage pour chercher à les terrasser tout à fait. Je mis même à cette entreprise un zèle bien ridicule ; car tandis qu’ils travaillaient sur moi, je voulus travailler sur eux. Je croyais bonnement qu’il ne fallait que les convaincre pour les engager à se faire protestants.
Ils ne trouvèrent donc pas en moi tout à fait autant de facilité qu’ils en attendaient, ni du côté des lumières ni du côté de la volonté. Les Protestants sont généralement mieux instruits que les Catholiques. Cela doit être : la doctrine des uns exige la discussion, celle des autres la soumission. Le Catholique doit adopter la décision qu’on lui donne : le Protestant doit apprendre à se décider. On savait cela ; mais on n’attendait ni de mon état ni de mon âge de grandes difficultés pour des gens exercés. D’ailleurs je n’avais point fait encore ma première communion ni reçu les instructions qui s’y rapportent : on le savait encore, mais on ne savait pas qu’en revanche j’avais été bien instruit chez M. Lambercier, et que de plus j’avais par-devers moi un petit magasin fort incommode à ces messieurs dans l’Histoire de l’Eglise et de l’Empire, que j’avais appris presque par cœur chez mon père, et depuis à peu près oubliée, mais qui me revint à mesure que la dispute s’échauffait.
Un vieux prêtre, petit, mais assez vénérable, nous fit en commun la première conférence. Cette conférence était pour mes camarades un catéchisme plutôt qu’une controverse, et il avait plus à faire à les instruire qu’à résoudre leurs objections. Il n’en fut pas de même avec moi. Quand mon tour vint, je l’arrêtai sur tout ; je ne lui sauvai pas une des difficultés que je pus lui faire. Cela rendit la conférence fort longue et fort ennuyeuse pour les assistants. Mon vieux prêtre parlait beaucoup, s’échauffait, battait la campagne, et se tirait d’affaire en disant qu’il n’entendait pas bien le français. Le lendemain, de peur que mes indiscrètes objections ne scandalisassent mes camarades, on me mit à part dans une autre chambre avec un autre prêtre, plus jeune, beau parleur, c’est-à-dire faiseur de longues phrases, et content de lui si jamais Docteur le fut. Je ne me laissai pourtant pas trop subjuguer à sa mine imposante, et, sentant qu’après tout je faisais ma tâche, je me mis à lui répondre avec assez d’assurance et à le bourrer par-ci par-là du mieux que je pus. Il croyait m’assommer avec saint Augustin, saint Grégoire et les autres Pères, et il trouvait, avec une surprise incroyable, que je maniais tous ces Pères-là presque aussi légèrement que lui : ce n’était pas que je les eusse jamais lus, ni lui peut-être ; mais j’en avais retenu beaucoup de passages tirés de mon Le Sueur ; et sitôt qu’il m’en citait un, sans disputer sur sa citation, je lui ripostais par une autre du même Père, et qui souvent l’embarrassait beaucoup. Il l’emportait pourtant à la fin par deux raisons : l’une, qu’il était le plus fort, et que, me sentant pour ainsi dire à sa merci, je jugeais très bien, quelque jeune que je fusse, qu’il ne fallait pas le pousser à bout ; car je voyais assez que le vieux petit prêtre n’avait pris en amitié ni mon érudition ni moi : l’autre raison était que le jeune avait de l’étude et que j’en avais point. Cela faisait qu’il mettait dans sa manière d’argumenter une méthode que je ne pouvais pas suivre, et que, sitôt qu’il se sentait pressé d’une objection imprévue, il la remettait au lendemain, disant que je sortais du sujet présent. Il rejetait même quelquefois toutes mes citations, soutenant qu’elles étaient fausses, et, s’offrant à m’aller chercher le livre, me défiait de les y trouver. Il sentait qu’il ne risquait pas grand’chose, et qu’avec toute mon érudition d’emprunt, j’étais trop peu exercé à manier les livres, et trop peu latiniste pour trouver un passage dans un gros volume, quand même je serais assuré qu’il y est. Je le soupçonne même d’avoir usé de l’infidélité dont il accusait les Ministres, et d’avoir fabriqué quelquefois des passages pour se tirer d’une objection qui l’incommodait.
Tandis que duraient ces petites ergoteries, et que les jours se passaient à disputer, à marmotter des prières et à faire le vaurien, il m’arriva une petite vilaine aventure assez dégoûtante, et qui faillit même à finir fort mal pour moi.
Il n’y a point d’âme si vile et de cœur si barbare qui ne soit susceptible de quelque sorte d’attachement. L’un de ces deux bandits qui se disaient Maures me prit en affection. Il m’accostait volontiers, causait avec moi dans son baragouin franc, me rendait de petits services, me faisait part quelquefois de sa portion à table, et me donnait surtout de fréquents baisers avec une ardeur qui m’était fort incommode. Quelque effroi que j’eusse naturellement de ce visage de pain d’épice, orné d’une longue balafre, et de ce regard allumé qui semblait plutôt furieux que tendre, j’endurais ces baisers en me disant en moi-même : le pauvre homme a conçu pour moi une amitié bien vive ; j’aurais tort de le rebuter. Il passait par degrés à des manières plus libres, et tenait de si singuliers propos, que je croyais quelquefois que la tête lui avait tourné. Un soir, il voulut venir coucher avec moi : je m’y opposai, disant que mon lit était trop petit. Il me pressa d’aller dans le sien : je le refusai encore ; car ce misérable était si malpropre et puait si fort le tabac mâché, qu’il me faisait mal au cœur.
Le lendemain, d’assez bon matin, nous étions tous deux seuls dans la salle d’assemblée : il recommença ses caresses, mais avec des mouvements si violents qu’il en était effrayant. Enfin, il voulut passer par degrés aux privautés les plus malpropres et me forcer, en disposant de ma main, d’en faire autant. Je me dégageai impétueusement en poussant un cri et faisant un saut en arrière, et, sans marquer ni indignation ni colère, car je n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait, j’exprimai ma surprise et mon dégoût avec tant d’énergie, qu’il me laissa là : mais tandis qu’il achevait de se démener, je vis partir vers la cheminée et tomber à terre je ne sais quoi de gluant et de blanchâtre qui me fit soulever le cœur. Je m’élançai sur le balcon, plus ému, plus troublé, plus effrayé même que je ne l’avais été de ma vie, et prêt à me trouver mal.
Je ne pouvais comprendre ce qu’avait ce malheureux : je le crus saisi du haut mal, ou de quelque frénésie encore plus terrible, et véritablement je ne sache rien de plus hideux à voir pour quelqu’un de sang-froid que cet obscène et sale maintien, et ce visage affreux enflammé de la plus brutale concupiscence. Je n’ai jamais vu d’autre homme en pareil état ; mais si nous sommes ainsi dans nos transports près des femmes, il faut qu’elles aient les yeux bien fascinés pour ne pas nous prendre en horreur.
Je n’eus rien de plus pressé que d’aller conter à tout le monde ce qui venait de m’arriver. Notre vieille intendante me dit de me taire, mais je vis que cette histoire l’avait fort affectée, et je l’entendais grommeler entre ses dents : Can maledet ! bruta bestia ! Comme je ne comprenais pas pourquoi je devais me taire, j’allai toujours mon train, malgré la défense, et je bavardai si bien que le lendemain un des administrateurs vint de bon matin m’adresser une assez vive mercuriale, m’accusant de faire beaucoup de bruit pour peu de mal et de commettre l’honneur d’une maison sainte.
Il prolongea sa censure en m’expliquant beaucoup de choses que j’ignorais, mais qu’il ne croyait pas m’apprendre, persuadé que je m’étais défendu sachant ce qu’on me voulait, et n’y voulant pas consentir. Il me dit gravement que c’était une œuvre défendue, ainsi que la paillardise, mais dont au reste l’intention n’était pas plus offensante pour la personne qui en était l’objet, et qu’il n’y avait pas de quoi s’irriter si fort pour avoir été trouvé aimable. Il me dit sans détour que lui-même, dans sa jeunesse, avait eu le même honneur, et qu’ayant été surpris hors d’état de faire résistance, il n’avait rien trouvé là de si cruel. Il poussa l’impudence jusqu’à se servir des propres termes, et s’imaginant que la cause de ma résistance était la crainte de la douleur, il m’assura que cette crainte était vaine, et qu’il ne fallait pas s’alarmer de rien.
J’écoutais cet infâme avec un étonnement d’autant plus grand qu’il ne parlait point pour lui-même ; il semblait ne m’instruire que pour mon bien.
Son discours lui paraissait si simple qu’il n’avait pas même cherché le secret du tête-à-tête : et nous avions en tiers un ecclésiastique que tout cela n’effarouchait pas plus que lui. Cet air naturel m’en imposa tellement, que j’en vins à croire que c’était sans doute un usage admis dans le monde, et dont je n’avais pas eu plus tôt occasion d’être instruit. Cela fit que je l’écoutai sans colère, mais non sans dégoût. L’image de ce qui m’était arrivé, mais surtout de ce que j’avais vu, restait si fortement empreinte dans ma mémoire, qu’en y pensant, le cœur me soulevait encore. Sans que j’en susse davantage, l’aversion de la chose s’étendit à l’apologiste, et je ne pus me contraindre assez pour qu’il ne vît pas le mauvais effet de ses leçons. Il me lança un regard peu caressant, et dès lors il n’épargna rien pour me rendre le séjour de l’hospice désagréable. Il y parvint si bien que, n’apercevant pour en sortir qu’une seule voie, je m’empressai de la prendre, autant que jusque-là je m’étais efforcé de l’éloigner.
Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des Chevaliers de la manchette, et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur, que j’avais peine à la cacher. Au contraire, les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison : il me semblait que je leur devais en tendresse de sentiments, en hommage de ma personne, la réparation des offenses de mon sexe, et la plus laide guenon devenait à mes yeux un objet adorable, par le souvenir de ce faux Africain.
Pour lui, je ne sais ce qu’on put lui dire ; il ne me parut pas que, excepté la dame Lorenza, personne le vît de plus mauvais œil qu’auparavant.
Cependant il ne m’accosta ni ne me parla plus. Huit jours après, il fut baptisé en grande cérémonie, et habillé de blanc de la tête aux pieds, pour représenter la candeur de son âme régénérée. Le lendemain il sortit de l’hospice et je ne l’ai jamais revu.
Mon tour vint un mois après : car il fallut tout ce temps-là pour donner à mes directeurs l’honneur d’une conversion difficile, et l’on me fit passer en revue tous les dogmes pour triompher de ma nouvelle docilité.
Enfin, suffisamment instruit et suffisamment disposé au gré de mes maîtres, je fus mené processionnellement à l’église métropolitaine de Saint-Jean pour y faire une abjuration solennelle et recevoir les accessoires du baptême, quoiqu’on ne me baptisât pas réellement : mais comme ce sont à peu près les mêmes cérémonies, cela sert à persuader au peuple que les protestants ne sont pas chrétiens. J’étais revêtu d’une certaine robe grise, garnie de brandebourgs blancs, et destinée pour ces sortes d’occasions.
Deux hommes portaient, devant et derrière moi, des bassins de cuivre, sur lesquels ils frappaient avec une clef, et où chacun mettait son aumône, au gré de sa dévotion ou de l’intérêt qu’il prenait au nouveau converti. Enfin, rien du faste catholique ne fut omis pour rendre la solennité plus édifiante pour le public, et plus humiliante pour moi. Il n’y eut que l’habit blanc, qui m’eût été fort utile, et qu’on ne me donna pas comme au Maure, attendu que je n’avais pas l’honneur d’être Juif.
Ce ne fut pas tout. Il fallut ensuite aller à l’Inquisition recevoir l’absolution du crime d’hérésie, et rentrer dans le sein de l’Eglise avec la même cérémonie à laquelle Henri IV fut soumis par son ambassadeur. L’air et les manières du très Révérend Père Inquisiteur n’étaient pas propres à dissiper la terreur secrète qui m’avait saisi en entrant dans cette maison.
Après plusieurs questions sur ma foi, sur mon état, sur ma famille, il me demanda brusquement si ma mère était damnée. L’effroi me fit réprimer le premier mouvement de mon indignation ; je me contentai de répondre que je voulais espérer qu’elle ne l’était pas, et que Dieu avait pu l’éclairer à sa dernière heure. Le moine se tut, mais il fit une grimace qui ne me parut point du tout un signe d’approbation.
Tout cela fait, au moment où je pensais être enfin placé selon mes espérances, on me mit à la porte avec un peu plus de vingt francs en petite monnaie qu’avait produit ma quête. On me recommanda de vivre en bon chrétien, d’être fidèle à la grâce ; on me souhaita bonne fortune, on ferma sur moi la porte, et tout disparut.
Ainsi s’éclipsèrent en un instant toutes mes grandes espérances, et il ne me resta de la démarche intéressée que je venais de faire que le souvenir d’avoir été apostat et dupe tout à la fois. Il est aisé de juger quelle brusque révolution dut se faire dans mes idées, lorsque de mes brillants projets de fortune je me vis tomber dans la plus complète misère, et qu’après avoir délibéré le matin sur le choix du palais que j’habiterais, je me vis le soir réduit à coucher dans la rue. On croira que je commençai par me livrer à un désespoir d’autant plus cruel que le regret de mes fautes devait s’irriter, en me reprochant que tout mon malheur était mon ouvrage. Rien de tout cela.
Je venais pour la première fois de ma vie d’être enfermé pendant plus de deux mois ; le premier sentiment que je goûtai fut celui de la liberté que j’avais recouvrée. Après un long esclavage, redevenu maître de moi-même et de mes actions, je me voyais au milieu d’une grande ville abondante en ressources, pleine de gens de condition dont mes talents et mon mérite ne pouvaient manquer de me faire accueillir sitôt que j’en serais connu. J’avais de plus tout le temps d’attendre, et vingt francs que j’avais dans ma poche me semblaient un trésor qui ne pouvait s’épuiser. J’en pouvais disposer à mon gré, sans rendre compte à personne. C’était la première fois que je m’étais vu si riche. Loin de me livrer au découragement et aux larmes, je ne fis que changer d’espérances, et l’amour-propre n’y perdit rien. Jamais je ne me sentis tant de confiance et de sécurité ; je croyais déjà ma fortune faite, et je trouvais beau de n’en avoir l’obligation qu’à moi seul. […] »
[…] mon premier jet du post d’hier j’écrivais: « Je rappelle que les évènements décrits se passent en 1728 (JJ […]
en los maristas, de eso, nos salvamos…