Ouvrir les yeux
admin | 30 juillet 2013Si j’ai mis tant de temps à tenir ma promesse, ce n’est pas parce que je l’avais faite à la légère. Il n’est de plus beau cadeau que l’on puisse me faire, ou que je puisse faire, qu’un livre que l’on a lu. Offrir un livre est déjà en soi un beau geste. Mais un livre que l’on a lu, qui nous a interpellé, secoué, ému, agacé c’est une démarche plus personnelle. C’est une invite au partage, à mesurer nos réactions respectives. C’est comme aller voir un film ensemble au ciné et sur le chemin du retour le commenter.
A l’époque je n’avais peut-être pas tout à fait conscience de cela, ni de notre écart d’âge, sinon par correction je n’aurais attendu tout ce temps. Mais ce livre présente de prime abord deux défauts majeurs qui le rendaient difficile a lire. D’abord le titre: « ouvrez donc les yeux » il est porteur de trop de désespérance et de pas moins d’arrogance pour le rendre attirant pour le jeune homme que j’étais.
C’est Wolinski qui m’apprit ce respect qu’il faut avoir de ceux que l’on a été ou de ceux que l’on sera, dans cette BD ou le jeune « Georges » rencontre le vieux « Georges » et dont j’ai oublié le titre. Le jeune Luis trouvait donc beaucoup d’arrogance à ce titre. Celui qui commande aux autres d’ouvrir les yeux suppose que lui voit la vérité. Et tant de désespérance dans ce cri, dans cet impératif, quel jeune a donc envie qu’on lui dise que le monde tel qu’il le perçoit est bien moins pire que ce qu’il verrait en réalité s’il les ouvrait. Qui peut donc croire qu’un livre d’entretiens fera ouvrir les yeux à l’humanité sur le sort funeste qui l’attend si elle ne s’empare de sa destinée.
Un livre d’entretiens, tel est le deuxième défaut de cet ouvrage qui en tint éloigné le jeune Luis. Je trouve aujourd’hui encore ce type d’ouvrage ennuyeux à lire, ces pseudos questions et ces réponses qui ne peuvent être que superficielles relèvent certainement d’une curieuse invention d’éditeur. Le mode interview pour un livre me parait aussi ennuyeux qu’un long monologue à la télévision ou à la radio. A l’inverse ces médias ci sont idoines pour cet exercice et permettent dès lors que le direct est de mise, et que de véritables journalistes sont à l’œuvre d’avoir des échanges intéressants. Hélas en France les interviews sont souvent aussi ennuyeuses à l’écrit qu’à l’oral. Mais au moins ces ouvrages ont-ils un mérite celui de reconnaitre l’incapacité pour le signataire principal de l’ouvrage à écrire un « vrai » livre, soit par manque de temps, soit par manque de talent. C’est sommes toutes plus honnête que ceux, politiques notamment, qui recourent à un ou des « nègres »… J’ai souvenir d’un ambitieux politique, « auteur » de nombreux livres, qui allait jusqu’à reprocher à un de ses « collègues » qu’on ne sache ce qu’il pense puisqu’il n’en avait écrit aucun.
Mais revenons à Claude Mossé (l’intervieweur) et Haroun Tazzief. Cet ouvrage échappe un tout petit peu au griefs que l’on peut faire au genre, parce qu’il est plus équilibré, Claude Mossé, opine parfois assez longuement et on a sur quelques pages l’illusion d’assister à un véritable échange. Commencé en 1978, au lendemain de la défaite de l’union de la Gauche aux élections et publié en 1980 une année avant l’alternance, condition sine qua non pour Haroun de toute démocratie, il offre un regard sur la fin des années Giscard, des réflexions et « prédictions » qu’il est intéressant de lire 33 ans après. Au fond le temps a rendu l’ouvrage plus intéressant encore probablement, intéressant mais pas moins déprimant.
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