C’est la faute à Voltaire
admin | 20 avril 2010Lorsque je publiais mon précèdent Post le 16 avril « LE nuage » avait déjà plaqué au sol l’aviation européenne. Ma nièce se trouvait alors au Portugal. Elle était sensée rentrer le 18 sur Paris pour repartir le 20 avril en Argentine nous ne nous inquiétions pas vraiment. Nous nous résignions plutôt. Les Ferrari et l’aviation c’est une vieille histoire de désagréments. Encore que si ma mémoire familiale n’est pas défaillante, mes parents eurent aussi quelques problèmes avec le bateau d’une traversée Europe – Argentine. Jamais de drame, juste des contre-temps, une belle école de patience.
Au final après avoir un peu galéré, ma nièce devrait bien décoller ce soir mais directement de Madrid, sans que je l’ai beaucoup vu durant son séjour européen.
Et qu’a à voir Voltaire avec tout ça? Lisbonne et colère de mère nature évidemment. Et cette fois FF prend donc le soin de lire la meilleure partie du billet, celle écrite par ce géant, tu y trouveras bien plus de plaisir que tu ne veux l’admettre 😉 Cet été nous marcherons sur les traces de Candide à Cadix… d’où il embarqua pour… Buenos Ayres…
Je ne résiste à reproduire les 5 chapitres concernés de Candide en Français et en Espagnol, même si il faut les lire et relire en entier: Texte intégral disponible sur : sur Google books ou pour les ennemis de Google sur In libro veritas et en castillan Ciudad Seva
« Chapitre 5
TEMPÊTE, NAUFRAGE, TREMBLEMENT DE TERRE, ET CE QUI ADVINT DU DOCTEUR PANGLOSS, DE CANDIDE ET DE L’ANABAPTISTE JACQUES
La moitié des passagers, affaiblis, expirants de ces angoisses inconcevables que le roulis d’un vaisseau porte dans les nerfs et dans toutes les humeurs du corps agitées en sens contraire, n’avait pas même la force de s’inquiéter du danger. L’autre moitié jetait des cris et faisait des prières ; les voiles étaient déchirées, les mâts brisés, le vaisseau entrouvert. Travaillait qui pouvait, personne ne s’entendait, personne ne commandait. L’anabaptiste aidait un peu à la manœuvre ; il était sur le tillac ; un matelot furieux le frappe rudement et l’étend sur les planches ; mais du coup qu’il lui donna il eut lui-même une si violente secousse qu’il tomba hors du vaisseau la tête la première. Il restait suspendu et accroché à une partie de mât rompue. Le bon Jacques court à son secours, l’aide à remonter, et de l’effort qu’il fit il est précipité dans la mer à la vue du matelot, qui le laissa périr, sans daigner seulement le regarder. Candide approche, voit son bienfaiteur qui reparaît un moment et qui est englouti pour jamais. Il veut se jeter après lui dans la mer ; le philosophe Pangloss l’en empêche, en lui prouvant que la rade de Lisbonne avait été formée exprès pour que cet anabaptiste s’y noyât. Tandis qu’il le prouvait a priori, le vaisseau s’entrouvre, tout périt à la réserve de Pangloss, de Candide, et de ce brutal de matelot qui avait noyé le vertueux anabaptiste ; le coquin nagea heureusement jusqu’au rivage où Pangloss et Candide furent portés sur une planche.
Quand ils furent revenus un peu à eux, ils marchèrent vers Lisbonne ; il leur restait quelque argent, avec lequel ils espéraient se sauver de la faim après avoir échappé à la tempête.
À peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu’ils sentent la terre trembler sous leurs pas ; la mer s’élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l’ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons s’écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ; trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines, Le matelot disait en sifflant et en jurant : « Il y aura quelque chose à gagner ici.
– Quelle peut être la raison suffisante de ce phénomène ? disait Pangloss.
– Voici le dernier jour du monde ! » s’écriait Candide. Le matelot court incontinent au milieu des débris, affronte la mort pour trouver de l’argent, en trouve, s’en empare, s’enivre, et, ayant cuvé son vin, achète les faveurs de la première fille de bonne volonté qu’il rencontre sur les ruines des maisons détruites et au milieu des mourants et des morts. Pangloss le tirait cependant par la manche. « Mon ami, lui disait-il, cela n’est pas bien, vous manquez à la raison universelle, vous prenez mal votre temps.
– Tête et sang ! répondit l’autre, je suis matelot et né à Batavia ; j’ai marché quatre fois sur le crucifix dans quatre voyages au Japon ; tu as bien trouvé ton homme avec ta raison universelle ! »
Quelques éclats de pierre avaient blessé Candide ; il était étendu dans la rue et couvert de débris. Il disait à Pangloss : « Hélas ! procure-moi un peu de vin et d’huile ; je me meurs.
– Ce tremblement de terre n’est pas une chose nouvelle, répondit Pangloss ; la ville de Lima éprouva les mêmes secousses en Amérique l’année passée ; même causes, même effets : il y a certainement une traînée de soufre sous terre depuis Lima jusqu’à Lisbonne.
– Rien n’est plus probable, dit Candide ; mais, pour Dieu, un peu d’huile et de vin.
– Comment, probable ? répliqua le philosophe ; je soutiens que la chose est démontrée. » Candide perdit connaissance, et Pangloss lui apporta un peu d’eau d’une fontaine voisine.
Le lendemain, ayant trouvé quelques provisions de bouche en se glissant à travers des décombres, ils réparèrent un peu leurs forces. Ensuite, ils travaillèrent comme les autres à soulager les habitants échappés à la mort. Quelques citoyens secourus par eux leur donnèrent un aussi bon dîner qu’on le pouvait dans un tel désastre. Il est vrai que le repas était triste ; les convives arrosaient leur pain de leurs larmes ; mais Pangloss les consola en les assurant que les choses ne pouvaient être autrement : « Car, dit-il, tout ceci est ce qu’il y a de mieux. Car, s’il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs. Car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont. Car tout est bien. »
Un petit homme noir, familier de l’Inquisition, lequel était à côté de lui, prit poliment la parole et dit : « Apparemment que monsieur ne croit pas au péché originel ; car, si tout est au mieux, il n’y a donc eu ni chute ni punition.
– Je demande très humblement pardon à Votre Excellence, répondit Pangloss encore plus poliment, car la chute de l’homme et la malédiction entraient nécessairement dans le meilleur des mondes possibles.
– Monsieur ne croit donc pas à la liberté ? dit le familier. – Votre Excellence m’excusera, dit Pangloss ; la liberté peut subsister avec la nécessité absolue ; car il était nécessaire que nous fussions libres ; car enfin la volonté déterminée… » Pangloss était au milieu de sa phrase, quand le familier fit un signe de tête à son estafier qui lui servait à boire du vin de Porto, ou d’Oporto.
Chapitre 6
COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FÉ POUR EMPÊCHER LES TREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT CANDIDE FUT FESSÉ
Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé, et l’autre pour avoir écouté avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d’une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.
Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n’étais que fessé, je l’ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu le ventre ! »
Il s’en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni, lorsqu’une vieille l’aborda et lui dit :
« Mon fils, prenez courage, suivez-moi. »
Chapitre 7
COMMENT UNE VIEILLE PRIT SOIN DE CANDIDE, ET COMMENT IL RETROUVA CE QU’IL AIMAIT
Candide ne prit point courage, mais il suivit la vieille dans une masure ; elle lui donna un pot de pommade pour se frotter, lui laissa à manger et à boire ; elle lui montra un petit lit assez propre ; il y avait auprès du lit un habit complet. « Mangez, buvez, dormez, lui dit- elle, et que Notre-Dame d’Atocha, Mgr saint Antoine de Padoue et Mgr saint Jacques de Compostelle prennent soin de vous : je reviendrai demain. » Candide, toujours étonné de tout ce qu’il avait vu, de tout ce qu’il avait souffert, et encore plus de la charité de la vieille, voulut lui baiser la main. « Ce n’est pas ma main qu’il faut baiser, dit la vieille ; je reviendrai demain. Frottez-vous de pommade, mangez et dormez. »
Candide, malgré tant de malheurs, mangea et dormit. Le lendemain la vieille lui apporte à déjeuner, visite son dos, le frotte elle-même d’une autre pommade ; elle lui apporte ensuite à dîner ; elle revient sur le soir, et apporte à souper. Le surlendemain elle fit encore les mêmes cérémonies. « Qui êtes-vous ? lui disait toujours Candide ; qui vous a inspiré tant de bonté ? quelles grâces puis-je vous rendre ? » La bonne femme ne répondait jamais rien ; elle revint sur le soir et n’apporta point à souper. « Venez avec moi, dit-elle, et ne dites mot. » Elle le prend sous le bras, et marche avec lui dans la campagne environ un quart de mille : ils arrivent à une maison isolée, entourée de jardins et de canaux. La vieille frappe à une petite porte. On ouvre ; elle mène Candide, par un escalier dérobé, dans un cabinet doré, le laisse sur un canapé de brocart, referme la porte, et s’en va. Candide croyait rêver, et regardait toute sa vie comme un songe funeste, et le moment présent comme un songe agréable.
La vieille reparut bientôt ; elle soutenait avec peine une femme tremblante, d’une taille majestueuse, brillante de pierreries et couverte d’un voile. « Ôtez ce voile », dit la vieille à Candide. Le jeune homme approche ; il lève le voile d’une main timide. Quel moment ! quelle surprise ! il croit voir Mlle Cunégonde ; il la voyait en effet, c’était elle-même. La force lui manque, il ne peut proférer une parole, il tombe à ses pieds. Cunégonde tombe sur le canapé. La vieille les accable d’eaux spiritueuses ; ils reprennent leurs sens, ils se parlent : ce sont d’abord des mots entrecoupés, des demandes et des réponses qui se croisent, des soupirs, des larmes, des cris. La vieille leur recommande de faire moins de bruit, et les laisse en liberté. « Quoi ! c’est vous, lui dit Candide, vous vivez ! Je vous retrouve en Portugal ! On ne vous a donc pas violée ? On ne vous a point fendu le ventre, comme le philosophe Pangloss me l’avait assuré ?
– Si fait, dit la belle Cunégonde ; mais on ne meurt pas toujours de ces deux accidents.
– Mais votre père et votre mère ont-ils été tués ? – Il n’est que trop vrai, dit Cunégonde en pleurant.
– Et votre frère ?
– Mon frère a été tué aussi.
– Et pourquoi êtes-vous en Portugal ? et comment avez-vous su que j’y étais ? et par quelle étrange aventure m’avez-vous fait conduire dans cette maison ?
– Je vous dirai tout cela, répliqua la dame ; mais il faut auparavant que vous m’appreniez tout ce qui vous est arrivé depuis le baiser innocent que vous me donnâtes et les coups de pied que vous reçûtes. »
Candide lui obéit avec un profond respect ; et quoiqu’il fût interdit, quoique sa voix fût faible et tremblante, quoique l’échine lui fît encore un peu mal, il lui raconta de la manière la plus naïve tout ce qu’il avait éprouvé depuis le moment de leur séparation. Cunégonde levait les yeux au ciel ; elle donna des larmes à la mort du bon anabaptiste et de Pangloss ; après quoi elle parla en ces termes à Candide, qui ne perdait pas une parole, et qui la dévorait des yeux.
Chapitre 8
HISTOIRE DE CUNÉGONDE
« J’étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château de Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six pieds, voyant qu’à ce spectacle j’avais perdu connaissance, se mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je criai, je me débattis, je mordis, j’égratignai, je voulais arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce qui arrivait dans le château de mon père était une chose d’usage : le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont je porte encore la marque. – Hélas ! j’espère bien la voir, dit le naïf Candide.
– Vous la verrez, dit Cunégonde ; mais continuons.
– Continuez », dit Candide.
Elle reprit ainsi le fil de son histoire : « Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m’emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce ; d’ailleurs peu d’esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu’il n’avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent et s’étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé don Issacar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s’attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu’au soldat bulgare. Une personne d’honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s’en affermit. Le Juif, pour m’apprivoiser, me mena dans cette maison de campagne que vous voyez. J’avais cru jusque-là qu’il n’y avait rien sur la terre de si beau que le château de Thunder-ten-tronckh ; j’ai été détrompée.
« Le grand inquisiteur m’aperçut un jour à la messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu’il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d’appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à don Issacar de me céder à monseigneur. Don Issacar, qui est le banquier de la cour et homme de crédit, n’en voulut rien faire. L’inquisiteur le menaça d’un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l’inquisiteur aurait les autres jours de la semaine. Il y a six mois que cette convention subsiste. Ce n’a pas été sans querelles ; car souvent il a été indécis si la nuit du samedi au dimanche appartenait à l’ancienne loi ou à la nouvelle. Pour moi, j’ai résisté jusqu’à présent à toutes les deux, et je crois que c’est pour cette raison que j’ai toujours été aimée.
« Enfin, pour détourner le fléau des tremblements de terre, et pour intimider don Issacar, il plut à monseigneur l’inquisiteur de célébrer un auto-da-fé. Il me fit l’honneur de m’y inviter. Je fus très bien placée ; on servit aux dames des rafraîchissements entre la messe et l’exécution. Je fus, à la vérité, saisie d’horreur en voyant brûler ces deux Juifs et cet honnête Biscayen qui avait épousé sa commère ; mais quelle fut ma surprise, mon effroi, mon trouble, quand je vis, dans un san-benito et sous une mitre, une figure qui ressemblait à celle de Pangloss ! Je me frottai les yeux, je regardai attentivement, je le vis pendre ; je tombai en faiblesse. À peine reprenais-je mes sens que je vous vis dépouillé tout nu : ce fut là le comble de l’horreur, de la consternation, de la douleur, du désespoir. Je vous dirai, avec vérité, que votre peau est encore plus blanche et d’un incarnat plus parfait que celle de mon capitaine des Bulgares. Cette vue redoubla tous les sentiments qui m’accablaient, qui me dévoraient. Je m’écriai, je voulus dire : » Arrêtez, barbares ! » mais la voix me manqua, et mes cris auraient été inutiles. Quand vous eûtes été bien fessé : « Comment se peut-il faire, disais-je, que l’aimable Candide et le sage Pangloss se trouvent à Lisbonne, l’un pour recevoir cent coups de fouet, et l’autre pour être pendu par l’ordre de monseigneur l’inquisiteur dont je suis la bien-aimée ? Pangloss m’a donc bien cruellement trompée quand il me disait que tout va le mieux du monde. »
« Agitée, éperdue, tantôt hors de moi-même, et tantôt prête de mourir de faiblesse, j’avais la tête remplie du massacre de mon père, de ma mère, de mon frère, de l’insolence de mon vilain soldat bulgare, du coup de couteau qu’il me donna, de ma servitude, de mon métier de cuisinière, de mon capitaine bulgare, de mon vilain don Issacar, de mon abominable inquisiteur, de la pendaison du docteur Pangloss, de ce grand miserere en faux-bourdon pendant lequel on vous fessait, et surtout du baiser que je vous avais donné derrière un paravent, le jour que je vous avais vu pour la dernière fois. Je louai Dieu qui vous ramenait à moi par tant d’épreuves. Je recommandai à ma vieille d’avoir soin de vous, et de vous amener ici dès qu’elle le pourrait. Elle a très bien exécuté ma commission ; j’ai goûté le plaisir inexprimable de vous revoir, de vous entendre, de vous parler. Vous devez avoir une faim dévorante ; j’ai grand appétit ; commençons par souper. »
Les voilà qui se mettent tous deux à table ; et après le souper, ils se replacent sur ce beau canapé dont on a déjà parlé ; ils y étaient quand le signor don Issacar, l’un des maîtres de la maison, arriva. C’était le jour du sabbat. Il venait jouir de ses droits, et expliquer son tendre amour.
Chapitre 9
CE QUI ADVINT DE CUNÉGONDE, DE CANDIDE, DU GRAND INQUISITEUR ET D’UN JUIF
Cet Issacar était le plus colérique Hébreu qu’on eût vu dans Israël depuis la captivité en Babylone. « Quoi ! dit-il, chienne de Galiléenne, ce n’est pas assez de monsieur l’inquisiteur ? Il faut que ce coquin partage aussi avec moi ? » En disant cela il tire un long poignard dont il était toujours pourvu, et ne croyant pas que son adverse partie eût des armes, il se jette sur Candide ; mais notre bon Westphalien avait reçu une belle épée de la vieille avec l’habit complet. Il tire son épée, quoiqu’il eût les moeurs fort douces, et vous étend l’Israélite roide mort sur le carreau, aux pieds de la belle Cunégonde.
« Sainte Vierge ! s’écria-t-elle, qu’allons-nous devenir ? Un homme tué chez moi ! si la justice vient, nous sommes perdus.
– Si Pangloss n’avait pas été pendu, dit Candide, il nous donnerait un bon conseil dans cette extrémité, car c’était un grand philosophe. À son défaut consultons la vieille. » Elle était fort prudente, et commençait à dire son avis, quand une autre petite porte s’ouvrit. Il était une heure après minuit, c’était le commencement du dimanche. Ce jour appartenait à monseigneur l’inquisiteur. Il entre et voit le fessé Candide l’épée à la main, un mort étendu par terre, Cunégonde effarée, et la vieille donnant des conseils.
Voici dans ce moment ce qui se passa dans l’âme de Candide, et comment il raisonna : « Si ce saint homme appelle du secours, il me fera infailliblement brûler ; il pourra en faire autant de Cunégonde ; il m’a fait fouetter impitoyablement ; il est mon rival ; je suis en train de tuer, il n’y a pas à balancer. » Ce raisonnement fut net et rapide, et sans donner le temps à l’inquisiteur de revenir de sa surprise, il le perce d’outre en outre, et le jette à côté du Juif. « En voici bien d’une autre, dit Cunégonde ; il n’y a plus de rémission ; nous sommes excommuniés, notre dernière heure est venue. Comment avez-vous fait, vous qui êtes né si doux, pour tuer en deux minutes un Juif et un prélat ?
– Ma belle demoiselle, répondit Candide, quand on est amoureux, jaloux et fouetté par l’Inquisition, on ne se connaît plus. »
La vieille prit alors la parole et dit : « Il y a trois chevaux andalous dans l’écurie, avec leurs selles et leurs brides : que le brave Candide les prépare ; madame a des moyadors et des diamants : montons vite à cheval, quoique je ne puisse me tenir que sur une fesse, et allons à Cadix ; il fait le plus beau temps du monde, et c’est un grand plaisir de voyager pendant la fraîcheur de la nuit. »
Aussitôt Candide selle les trois chevaux. Cunégonde, la vieille et lui font trente milles d’une traite. Pendant qu’ils s’éloignaient, la Sainte-Hermandad arrive dans la maison ; on enterre monseigneur dans une belle église, et on jette Issacar à la voirie.Candide, Cunégonde et la vieille étaient déjà dans la petite ville d’Avacéna, au milieu des montagnes de la Sierra-Morena ; et ils parlaient ainsi dans un cabaret. »
Chapitre 10
DANS QUELLE DÉTRESSE CANDIDE, CUNÉGONDE ET LA VIEILLE ARRIVENT À CADIX, ET DE LEUR EMBARQUEMENT
« Qui a donc pu me voler mes pistoles et mes diamants ? disait en pleurant Cunégonde ; de quoi vivrons-nous ? comment ferons-nous ? où trouver des inquisiteurs et des Juifs qui m’en donnent d’autres ?
– Hélas ! dit la vieille, je soupçonne fort un révérend père cordelier qui coucha hier dans la même auberge que nous à Badajoz ; Dieu me garde de faire un jugement téméraire ! mais il entra deux fois dans notre chambre, et il partit longtemps avant nous.
– Hélas ! dit Candide, le bon Pangloss m’avait souvent prouvé que les biens de la terre sont communs à tous les hommes, que chacun y a un droit égal. Ce cordelier devait bien, suivant ces principes, nous laisser de quoi achever notre voyage. Il ne vous reste donc rien du tout, ma belle Cunégonde
– Pas un maravédis, dit-elle.
– Quel parti prendre ? dit Candide.
– Vendons un des chevaux, dit la vieille ; je monterai en croupe derrière mademoiselle, quoique je ne puisse me tenir que sur une fesse, et nous arriverons à Cadix. »
Il y avait dans la même hôtellerie un prieur de bénédictins ; il acheta le cheval bon marché. Candide, Cunégonde et la vieille passèrent par Lucena, par Chillas, par Lebrixa, et arrivèrent enfin à Cadix. On y équipait une flotte, et on y assemblait des troupes pour mettre à la raison les révérends pères jésuites du Paraguay, qu’on accusait d’avoir fait révolter une de leurs hordes contre les rois d’Espagne et de Portugal, auprès de la ville du Saint-Sacrement. Candide, ayant servi chez les Bulgares, fit l’exercice bulgarien devant le général de la petite armée avec tant de grâce, de célérité, d’adresse, de fierté, d’agilité, qu’on lui donna une compagnie d’infanterie à commander. Le voilà capitaine ; il s’embarque avec Mlle Cunégonde, la vieille, deux valets et les deux chevaux andalous qui avaient appartenu à M. le grand inquisiteur de Portugal.
Pendant toute la traversée ils raisonnèrent beaucoup sur la philosophie du pauvre Pangloss. « Nous allons dans un autre univers, disait Candide ; c’est dans celui-là sans doute que tout est bien. Car il faut avouer qu’on pourrait gémir un peu de ce qui se passe dans le nôtre en physique et en morale.
– Je vous aime de tout mon coeur, disait Cunégonde ; mais j’ai encore l’âme tout effarouchée de ce que j’ai vu, de ce que j’ai éprouvé.
– Tout ira bien, répliquait Candide ; la mer de ce nouveau monde vaut déjà mieux que les mers de notre Europe ; elle est plus calme, les vents plus constants. C’est certainement le nouveau monde qui est le meilleur des univers possibles.
– Dieu le veuille ! disait Cunégonde ; mais j’ai été si horriblement malheureuse dans le mien que mon coeur est presque fermé à l’espérance.
– Vous vous plaignez, leur dit la vieille ; hélas ! vous n’avez pas éprouvé des infortunes telles que les miennes. » Cunégonde se mit presque à rire, et trouva cette bonne femme fort plaisante de prétendre être plus malheureuse qu’elle. « Hélas ! lui dit-elle, ma bonne, à moins que vous n’ayez été violée par deux Bulgares, que vous n’ayez reçu deux coups de couteau dans le ventre, qu’on n’ait démoli deux de vos châteaux, qu’on n’ait égorgé à vos yeux deux mères et deux pères, et que vous n’ayez vu deux de vos amants fouettés dans un auto-da-fé, je ne vois pas que vous puissiez l’emporter sur moi ; ajoutez que je suis née baronne avec soixante et douze quartiers, et que j’ai été cuisinière. – Mademoiselle, répondit la vieille, vous ne savez pas quelle est ma naissance ; et si je vous montrais mon derrière, vous ne parleriez pas comme vous faites, et vous suspendriez votre jugement. » Ce discours fit naître une extrême curiosité dans l’esprit de Cunégonde et de Candide. La vieille leur parla en ces termes. »
Y en Castellano para Brendita 😉
»
Capítulo V
Tormenta, naufragio, terremoto, y lo que le sucedió
al doctor Pangloss, a Cándido y a Jacobo el anabaptistaLa mitad de los pasajeros, afligidos y sufriendo esas inconcebibles angustias que el balanceo de un barco produce en los nervios y en todos los humores del cuerpo, agitados, en direcciones opuestas, no tenían siquiera fuerzas para inquietarse por el peligro. La otra mitad gritaba y rezaba; las velas estaban rasgadas, los mástiles rotos y abierta la nave; quien podía trabajaba, nadie escuchaba, nadie mandaba. Algo ayudaba a la faena el anabaptista, que estaba sobre el combés, cuando un furioso marinero le pega un rudo empellón y lo derriba sobre las tablas; pero fue tal el esfuerzo que hizo al empujarlo que se cayó de cabeza fuera del navío y quedó colgado y agarrado de una porción del mástil roto. Acudió el buen Jacobo a socorrerlo y lo ayudó a subir; pero con la fuerza que para ello hizo, se cayó en el mar a vista del marinero, que lo dejó ahogarse sin dignarse mirarlo. Cándido se acerca, ve a su bienhechor que reaparece un instante y se hunde para siempre; quiere tirarse tras él al mar; pero lo detiene el filósofo Pangloss, demostrándole que la bahía de Lisboa ha sido hecha expresamente para que en ella se ahogara el anabaptista. Probándolo estaba a priori, cuando se abrió el navío, y todos perecieron, menos Pangloss, Cándido y el brutal marinero que había ahogado al virtuoso anabaptista; el bribón llegó nadando hasta la orilla, adonde Cándido y Pangloss fueron arrastrados sobre una tabla.
Así que se recobran un poco del susto y del cansancio, se encaminaron a Lisboa. Llevaban algún dinero, con el cual esperaban librarse del hambre, después de haberse zafado de la tormenta.
Apenas pusieron los pies en la ciudad, lamentándose de la muerte de su bienhechor, el mar hirviente embistió el puerto y arrebató cuantos navíos se hallaban en él anclados; calles y plazas se cubrieron de torbellinos, de llamas y cenizas; se hundían las casas, se caían los techos sobre los cimientos, y los cimientos se dispersaban, y treinta mil moradores de todas edades y sexos eran sepultados entre ruinas. El marinero, tarareando y blasfemando, decía:
-Algo ganaremos con esto.
-¿Cuál puede ser la razón suficiente de este fenómeno? -decía Pangloss; y Cándido exclamaba:
-Éste es el día del juicio final.
El marinero corrió sin detenerse en medio de las ruinas, arrostrando la muerte para buscar dinero; con el dinero encontrado se fue a emborrachar, y después de haber dormido su borrachera compra los favores de la primera prostituta de buena voluntad que encuentra en medio de las ruinas de los desplomados edificios y entre los moribundos y los cadáveres. Pangloss, sin embargo, le tiraba de la casaca, diciéndole:
-Amigo, eso no está bien; eso es pecar contra la razón universal; ahora no es ocasión de holgarse.
-¡Por vida del Padre Eterno! -respondió el otro- soy marinero y nacido en Batavia; cuatro veces he pisado el crucifijo en cuatro viajes que tengo hechos al Japón. ¡Pues no vienes mal ahora con tu razón universal!
Cándido, que la caída de unas piedras había herido, tendido en mitad de la calle y cubierto de ruinas, clamaba a Pangloss:
-¡Ay! Tráigame usted un poco de vino y aceite, que me muero.
-Este temblor de tierra -respondió Pangloss- no es cosa nueva: el mismo azote sufrió Lima años pasados; las mismas causas producen los mismos efectos; sin duda hay una veta subterránea de azufre que va de Lisboa a Lima.
-Nada es tan probable -dijo Cándido- pero, por Dios, un poco de aceite y vino.
-¿Cómo probable? -replicó el filósofo- sostengo que está demostrado.
Cándido perdió el sentido, y Pangloss le llevó un trago de agua de una fuente vecina.
Al día siguiente, metiéndose por entre los escombros, encontraron algunos alimentos y recobraron un poco sus fuerzas. Después trabajaron, a ejemplo de los demás, para aliviar a los habitantes que habían escapado de la muerte. Algunos vecinos socorridos por ellos, les dieron la mejor comida que en tamaño desastre se podía esperar: verdad que fue muy triste el banquete; los convidados bañaban el pan con sus lágrimas, pero Pangloss los consolaba afirmando que no podían suceder las cosas de otra manera, porque todo esto, decía, es conforme a lo mejor; porque si hay un volcán en Lisboa, no podía estar en otra parte; porque es imposible que las cosas dejen de estar donde están, pues todo está bien.
Un hombrecito vestido de negro, familiar3 de la Inquisición, que junto a él estaba sentado, tomó cortésmente la palabra:
-Sin duda, caballero, no cree usted en el pecado original, porque si todo es para mejor, no ha habido caída ni castigo.
-Perdóneme su excelencia -le respondió con más cortesía Pangloss- porque la caída del hombre y su maldición entran necesariamente en el mejor de los mundos posibles.
-Por lo tanto ¿este caballero no cree que seamos libres? -dijo el familiar de la Inquisición.
-Otra vez ha de perdonar su excelencia -replicó Pangloss- la libertad puede subsistir con la necesidad absoluta; porque era necesario que fuéramos libres; porque finalmente la voluntad determinada…
En medio de la frase estaba Pangloss, cuando hizo el familiar una seña a su secretario que le servía vino de Porto o de Oporto.
Capítulo VI
De cómo se hizo un magnífico auto de fe para impedir
los terremotos y de los doscientos azotes que pegaron a Cándido
Pasado el terremoto que había destruido las tres cuartas partes de Lisboa, los sabios del país no encontraron un medio más eficaz para prevenir una total ruina que ofrecer al pueblo un magnífico auto de fe4. La Universidad de Coimbra decidió que el espectáculo de unas cuantas personas quemadas a fuego lento con toda solemnidad es infalible secreto para impedir que la tierra tiemble.
Con este objeto se había apresado a un vizcaíno, convicto de haberse casado con su comadre, y a dos portugueses que al comer un pollo le habían sacado la grasa: después de la comida se llevaron atados al doctor Pangloss y a su discípulo, a uno por haber hablado, y al otro por haber escuchado con aire de aprobación. Los pusieron separados en unos aposentos muy frescos, donde nunca incomodaba el sol, y de allí a ocho días los vistieron con un sambenito5 y les engalanaron la cabeza con unas mitras de papel: la coraza y el sambenito de Cándido llevaban llamas boca abajo y diablos sin garras ni rabos; pero los diablos de Pangloss tenían rabo y garras, y las llamas ardían hacia arriba. Así vestidos salieron en procesión, y oyeron un sermón muy patético, al cual se siguió una bellísima salmodia. Cándido, mientras duró la música, fue azotado a compás, el vizcaíno y los dos que no habían querido comer la grasa del pollo fueron quemados y Pangloss fue ahorcado, aun cuando ésa no era la costumbre. Aquel mismo día la tierra tembló de nuevo con un estruendo espantoso.
Cándido, aterrado, sobrecogido, desesperado, ensangrentado, se decía: « Si éste es el mejor de los mundos posibles, ¿cómo serán los otros? Vaya con Dios, si no hubieran hecho más que azotarme; ya lo habían hecho los búlgaros. Pero tú, querido Pangloss, el más grande de los filósofos, ¿era necesario verte ahorcar sin saber por qué? ¡Oh, mi amado anabaptista, el mejor de los hombres! ¿Era necesario que te ahogaras en el puerto? ¡Oh, señorita Cunegunda, perla de las doncellas! ¿Era necesario que te abrieran el vientre? ¿Por qué te han sacado el redaño? »
Volvíase a su casa, sin poder tenerse en pie, predicado, azotado, absuelto y bendito, cuando se le acercó una vieja que le dijo:
-Hijo mío, ¡ánimo y sígueme!
Capítulo VII
De cómo una vieja cuidó a Cándido y de cómo éste encontró a la que amaba
No cobró ánimo Cándido, pero siguió a la vieja a una casucha, donde le dio su conductora un pote de pomada para untarse y le dejó de comer y de beber; luego le enseñó una camita muy aseada; junto a la camita había un vestido completo.
-Come, hijo, bebe y duerme -le dijo- y que Nuestra Señora de Atocha, el señor San Antonio de Padua y el señor Santiago de Compostela te asistan; mañana volveré.
Cándido, asombrado de cuanto había visto y padecido, y más aun de la caridad de la vieja, quiso besarle la mano.
-No es mi mano la que has de besar -le dijo la vieja-; mañana volveré. Úntate con la pomada, come y duerme.
Cándido comió y durmió, no obstante sus muchas desventuras. Al día siguiente le trae la vieja desayuno, le observa la espalda, se la restriega con otra pomada y luego le trae de comer; a la noche vuelve y le trae de cenar. Al tercer día fue la misma ceremonia.
-¿Quién es usted? -le decía Cándido-; ¿quién le ha inspirado tanta bondad? ¿Cómo puedo agradecerle?
La buena mujer no respondía, pero volvió aquella noche y no trajo de cenar.
-Ven conmigo -le dijo- y no chistes.
Diciendo esto cogió a Cándido del brazo y echó a andar con él por el campo. Hacen medio cuarto de legua aproximadamente y llegan a una casa, cercada de canales y jardines. Llama la vieja a un postigo, abren y lleva a Cándido por una escalera secreta a un gabinete dorado, lo deja sobre un canapé de terciopelo, cierra la puerta y se marcha. Cándido creía soñar, y miraba su vida entera como un sueño funesto y el momento presente como un sueño delicioso.
Pronto volvió la vieja, sustentando con dificultad del brazo a una trémula mujer, de majestuosa estatura, cubierta de piedras preciosas y cubierta con un velo.
-Alza ese velo -dijo a Cándido la vieja.
Arrímase el mozo y alza con mano tímida el velo. ¡Qué instante! ¡Qué sorpresa! Cree estar viendo a la señorita Cunegunda, y así era. Fáltale el aliento, no puede articular palabra y cae a sus pies. Cunegunda se deja caer sobre el canapé; la vieja los inunda con vinagre aromático; vuelven en sí, se hablan; primero son palabras entrecortadas, preguntas y respuestas que se cruzan, suspiros, lágrimas, gritos. La vieja, recomendándoles que hagan menos bulla, los deja libres.
-¡Conque es usted! -dice Cándido-. ¡Conque usted vive y yo la encuentro en Portugal! ¿No ha sido, pues, violada? ¿No le han abierto el vientre, como me había asegurado el filósofo Pangloss?
-Sí -replicó la hermosa Cunegunda- pero no siempre son mortales esos accidentes.
-¿Y mataron a su padre y a su madre?
-Por desgracia -respondió llorando Cunegunda.
-¿Y su hermano?
-También mataron a mi hermano.
-Pues ¿por qué está usted en Portugal? ¿Cómo ha sabido que también yo lo estaba? ¿Por qué me ha hecho venir a esta casa?
-Se lo diré, replicó la dama; pero antes es necesario que usted me cuente todo aquello que le ha sucedido desde el inocente beso que me dio y las patadas con que se lo hicieron pagar.
Obedeció Cándido con profundo respeto, y como estaba confuso, tenía débil y trémula la voz, y aunque aún le dolía no poco el espinazo, contó con la mayor ingenuidad todo lo que había padecido desde el momento de su separación. Alzaba Cunegunda los ojos al cielo; lloraba tiernas lágrimas por la muerte del buen anabaptista y de Pangloss; habló después como sigue a Cándido, quien no perdía una palabra y se la devoraba con los ojos.
Capítulo VIII
Historia de Cunegunda
-Dormía profundamente en mi cama, cuando plugo al cielo que entraran los búlgaros en nuestro hermoso Castillo de Thunder-ten-tronckh; degollaron a mi padre y a mi hermano e hicieron tajadas a mi madre. Un búlgaro, de seis pies de altura, viendo que me había desmayado con esta escena, se puso a violarme; con lo cual volví en mí, y empecé a debatirme, a morderlo, arañarlo y a intentar sacarle los ojos, no sabiendo que era cosa de estilo cuanto sucedía en el castillo de mi padre: pero el belitre me dio una cuchillada en el costado izquierdo, de la cual conservo todavía la señal.
-¡Ah! Espero verla -dijo el ingenuo Cándido.
-Ya la verá usted -dijo Cunegunda-; pero continuemos.
-Continúe usted, dijo Cándido.
Cunegunda volvió a tomar el hilo de su historia:
-Entró un capitán búlgaro; me vio llena de sangre, debajo del soldado, que no se incomodaba. El capitán se indignó por el poco respeto que le demostraba ese bárbaro y lo mató sobre mi cuerpo; me hizo luego vendar la herida y me llevó prisionera de guerra a su guarnición. Allí lavaba las pocas camisas que él tenía y le guisaba la comida; él decía que era muy bonita y también he de confesar que era muy lindo mozo, que tenía la piel suave y blanca, pero poco entendimiento y menos filosofía; pronto se echaba de ver que no lo había educado el doctor Pangloss. Al cabo de tres meses perdió todo su dinero y, harto de mí, me vendió a un judío llamado don Isacar, que comerciaba en Holanda y en Portugal y amaba apasionadamente a las mujeres. Se prendó mucho de mí el tal judío; pero nada pudo conseguir, que me he resistido a él mejor que al soldado búlgaro; porque una mujer decente bien puede ser violada una vez; pero eso mismo fortalece su virtud. El judío, para domesticarme, me ha traído a la casa de campo que usted ve. Hasta ahora había creído que no había nada en la tierra más hermoso que el castillo de Thunder-ten-tronckh, pero he salido de mi error.
« El gran inquisidor me vio un día en misa; no me quitó los ojos de encima y me hizo decir que tenía que hablar de un asunto secreto. Me llevaron a su palacio y yo le dije quiénes eran mis padres. Me representó entonces cuán indigno de mi jerarquía era pertenecer a un israelita. Su Ilustrísima propuso a don Isacar que le hiciera cesión de mí, y éste, que es banquero de palacio y hombre de mucho poder, no quiso consentirlo. El inquisidor lo amenazó con un auto de fe. Al fin se atemorizó mi judío e hizo un ajuste en virtud del cual la casa y yo habían de ser de ambos en condominio; el judío se reservó los lunes, los miércoles, y los sábados, y el inquisidor los demás días de la semana. Seis meses ha que subsiste este convenio, aunque no sin frecuentes contiendas, porque muchas veces han disputado sobre si la noche de sábado a domingo pertenecía a la ley antigua o a la nueva. Hasta ahora me he resistido a los dos; y por este motivo pienso que me quieren tanto.
« Finalmente, por conjurar la plaga de los terremotos e intimidar a don Isacar, le plugo al ilustrísimo señor inquisidor celebrar un auto de fe. Me honró convidándome a la fiesta; me dieron uno de los mejores asientos, y se sirvieron refrescos a las señoras en el intervalo de la misa y la ejecución. Confieso que estaba sobrecogida de horror al ver quemar a los dos judíos y al honrado vizcaíno casado con su comadre; pero ¡cuál no fue mi sorpresa, mi espanto, mi turbación cuando vi cubierto por un sambenito y bajo una mitra un rostro parecido al de Pangloss! Me restregué los ojos, miré con atención, lo vi ahorcar y me desmayé. Apenas había vuelto en mí, cuando lo vi a usted desnudo; allí mi horror, mi consternación, mi desconsuelo y mi desesperación. La piel de usted, lo digo de veras, es más blanca y más encarnada que la de mi capitán de búlgaros, y eso redobló los sentimientos que me abrumaban, que me devoraban. Iba a decir a gritos: ‘Deteneos, bárbaros’; pero me faltó la voz, y habría sido inútil. Mientras azotaban a usted, yo me decía: ‘¿Cómo es posible que se encuentren en Lisboa el amable Cándido y el sabio Pangloss, uno para recibir doscientos azotes y el otro para ser ahorcado por orden del ilustrísimo señor inquisidor que tanto me ama? ¡Qué cruelmente me engañaba Pangloss cuando me decía que todo es perfecto en el mundo!’
« Agitada, desesperada, fuera de mí unas veces y muriéndome otras de pesar, pensaba en la matanza de mi padre, mi madre y mi hermano, en la insolencia de aquel soez soldado búlgaro que me dio una cuchillada, en mi oficio de lavandera y cocinera, en mi capitán búlgaro, en mi ruin don Isacar, en mi abominable inquisidor, en el ahorcamiento del doctor Pangloss, en ese gran miserere con salmodias durante el cual le dieron a usted doscientos azotes y sobre todo en el beso que di a usted detrás del biombo la última vez que nos vimos. Agradecí a Dios que nos volvía a reunir por medio de tantas pruebas, y encargué a mi criada vieja que cuidara de usted y me le trajera cuando fuese posible. Ha desempeñado muy bien mi encargo y he disfrutado el imponderable gusto de ver a usted nuevamente, de oírle, de hablarle. Debe de tener un hambre devoradora; yo también tengo apetito; empecemos por cenar. »
Sentáronse, pues, ambos a la mesa, y después de cenar volvieron al hermoso canapé de que ya he hablado. Sobre él estaban, cuando llegó el signor don Isacar, uno de los amos de casa; que era sábado y venía a gozar de sus derechos y a explicar su tierno amor.
Capítulo IX
Qué fue de Cunegunda, de Cándido, del Gran Inquisidor y de un judío
Isacar era el hebreo más colérico que se haya visto en Israel desde la cautividad de Babilonia.
-¿Qué es esto -dijo- perra galilea? ¿Conque no te basta con el señor inquisidor? ¿También ese pícaro debe compartirte?
Al decir esto saca un largo puñal que siempre llevaba en el cinto, y creyendo que su contrario no traía armas, se lanza sobre él. Pero la vieja había dado a nuestro buen westfaliano una espada con el vestido completo de que hablamos; la desenvainó Cándido, a pesar de su mansedumbre, y mató al israelita, que cayó a los pies de la bella Cunegunda.
-¡Virgen Santísima! -exclamó ésta-; ¿qué será de nosotros? ¡Un hombre muerto en mi casa! Si viene la justicia, estamos perdidos.
-Si no hubieran ahorcado a Pangloss -dijo Cándido-, él nos daría un consejo en este apuro, porque era gran filósofo, pero, a falta de Pangloss, consultemos a la vieja.
Era ésta muy discreta, y empezaba a dar su parecer, cuando abrieron otra puertecilla. Era la una de la madrugada; había ya principiado el domingo, día que pertenecía al gran inquisidor. Al entrar éste ve al azotado Cándido con la espada en la mano, un muerto en el suelo, Cunegunda asustada y la vieja dando consejos.
En este instante se le ocurrieron a Cándido las siguientes ideas y discurrió así: « Si pido auxilio, este santo varón me hará quemar infaliblemente, y otro tanto podrá hacer a Cunegunda; me ha hecho azotar sin misericordia, es mi rival y yo estoy en vena de matar: no hay que detenerse ». Este discurso fue tan bien hilado como pronto, y sin dar tiempo a que se recobrase el inquisidor de su sorpresa, lo atravesó de parte a parte de una estocada, y lo dejó tendido junto al israelita.
-Buena la tenemos -dijo Cunegunda-; ya no hay remisión: estamos excomulgados y ha llegado nuestra última hora. ¿Cómo ha hecho usted, siendo de tan mansa condición, para matar en dos minutos a un prelado y a un judío?
-Hermosa señorita -respondió Cándido- cuando uno está enamorado, celoso y azotado por la Inquisición, no sabe lo que hace.
Rompió entonces la vieja el silencio, y dijo:
-En la caballeriza hay tres caballos andaluces con sus sillas y frenos; ensíllelos el esforzado Cándido; esta señora tiene doblones y diamantes, montemos a caballo y vamos a Cádiz, aunque yo sólo puedo sentarme sobre una nalga. El tiempo está hermosísimo y da contento viajar con el fresco de la noche.
Cándido ensilló volando los tres caballos, y Cunegunda, él y la vieja anduvieron dieciséis leguas sin parar. Mientras iban andando, vino a la casa de Cunegunda la Santa Hermandad, enterraron a Su Ilustrísima en una suntuosa iglesia y a Isacar lo tiraron a un muladar.
Ya estaban Cándido, Cunegunda y la vieja en la aldea de Aracena, en mitad de los montes de Sierra Morena, y decían lo que sigue en un mesón.
Capítulo X
De la triste situación en que Cándido, Cunegunda
y la vieja llegaron a Cádiz y de cómo se embarcaron para América
-¿Quién me habrá robado mis doblones y mis diamantes? -decía llorando Cunegunda-; ¿cómo hemos de vivir? ¿Qué hemos de hacer? ¿Dónde he de hallar inquisidores y judíos que me den otros?
-¡Ay! -dijo la vieja- mucho me sospecho de un reverendo padre franciscano que ayer durmió en Badajoz en nuestra posada. Líbreme Dios de hacer juicios temerarios; pero dos veces entró en nuestro cuarto y se fue mucho antes que nosotros.
-¡Ah! -dijo Cándido- muchas veces me ha probado el buen Pangloss que los bienes de la tierra son comunes a todos y que cada uno tiene igual derecho a su posesión. Conforme a estos principios, el franciscano nos había de haber dejado con qué acabar nuestro camino. ¿Conque nada te queda, hermosa Cunegunda?
-Ni un maravedí -respondió ésta-.
-¿Y qué haremos? -exclamó Cándido.
-Vendamos uno de los caballos -dijo la vieja-; yo montaré a la grupa del de la Señorita, aunque sólo puedo tenerme sobre una nalga, y así llegaremos a Cádiz.
En el mismo mesón había un prior de los benedictinos, que compró barato el caballo. Cándido, Cunegunda y la vieja atravesaron Lucena, Chilla, Lebrija, y llegaron por fin a Cádiz, donde estaban equipando una escuadra para poner en razón a los reverendos padres jesuitas del Paraguay, que habían excitado a una de sus rancherías de indios contra los reyes de España y Portugal, cerca de la colonia del Sacramento. Cándido, que había servido en la tropa búlgara, hizo el ejercicio a la búlgara con tanto donaire, ligereza, maña, agilidad y desembarazo, ante el general del pequeño ejército, que éste le dio el mando de una compañía de infantería. Helo, pues, capitán; con esta graduación se embarcó en compañía de su señorita Cunegunda, de la vieja, de dos criados y de los dos caballos andaluces que habían pertenecido al Gran Inquisidor de Portugal.
Durante todo el viaje discurrieron largamente sobre la filosofía del pobre Pangloss.
-Vamos a otro mundo -decía Cándido- y es en él, sin duda, donde todo está bien; porque debemos confesar que este nuestro mundo tiene sus defectillos físicos y morales.
-Te quiero con toda mi alma -decía Cunegunda-; pero todavía llevo el corazón traspasado con lo que he visto y padecido.
-Todo irá bien -replicó Cándido-; ya el mar de este nuevo mundo vale más que nuestros mares de Europa; es más tranquilo y los vientos son más constantes; no cabe duda de que el Nuevo Mundo es el mejor de los mundos posibles.
-¡Dios lo quiera! -dijo Cunegunda-; pero tan horrendas catástrofes he sufrido en el mío, que apenas si me queda en el corazón resquicio de esperanza.
-Ustedes se quejan -les dijo la vieja-; pues sepan que no han pasado por infortunios como los míos.
Se sonrió Cunegunda del disparate de la buena mujer, que se alababa de ser más desgraciada que ella.
-¡Ay! -le dijo- a menos que usted haya sido violada por dos búlgaros, que le hayan dado dos cuchilladas en el vientre, que hayan demolido dos de sus castillos, que hayan degollado en su presencia a dos padres y a dos madres y que haya visto a dos de sus amantes azotados en un auto de fe, no sé cómo pueda ganarme; sin contar que he nacido baronesa con setenta y dos cuarteles en mi escudo de armas y después he descendido a cocinera.
-Señorita -replicó la vieja- usted no sabe cuál ha sido mi cuna; y si le enseñara mi trasero, no hablaría del modo que habla y suspendería su juicio.
Este discurso provocó una gran curiosidad en Cándido y Cunegunda; la vieja la satisfizo con las palabras siguientes. «