Un peu de respect!
admin | 11 mai 2010La première fois c’était à Toulouse. Des camarades âgés se lamentaient que les jeunes ne les aident jamais à fleurir les plaques disséminées dans la ville rose aux endroits où les résistants étaient tombés. Je pris donc un escabeau, le seau de fleurs et me voilà avec trois autres personnes parti pour un cours d’histoire unique à travers les rues du Toulouse résistant.
Depuis que je suis assistant parlementaire je participe à des commémorations dans le cadre de mes fonctions, partout dans la circonscription et du coup jamais dans ma commune: Champlan. Les socialistes, quasiment depuis la création – récente – de la section de champlan y assistent au moins à celle du 08 mai.
Le choix des dates est important. Il doit faire sens pour aider à la transmission des connaissances et des émotions et forgent la mémoire d’un peuple.
Prenons le 14 juillet 1789, tout français, tout habitant de ce pays, tout amoureux de la culture française et tout connaisseur de la révolution française dans le monde connait cette date et sait à quoi elle correspond, ce qui a conduit à choisir le 14 juillet. Ce qui conduit 221 ans après à la célébrer partout… ou presque… Champlan depuis trop longtemps s’en dispense.
Les commémorations se multiplient se concentrent et perdent progressivement de leur force. Je ne suis pas favorable à la multiplication à l’infini de ces dates. L’histoire de l’humanité depuis 4000 ans pourrait susciter bien des dates. L’école doit être et rester le lieu privilégié de la transmission historique. Non pas une simple transmission faite d’apprentissage de dates et de noms (plus ou moins) propres. Non elle doit amener à une véritable réflexion, à une compréhension réelle de la marche de l’humanité. Mais cette transmission de notre mémoire ne saurait se cantonner à l’école. Il est parfois besoin de communier pour créer un échange entre les générations vivantes et celles disparues. On doit regretter l’absence des enseignants et des élèves de ces cérémonies dans la plupart des villes, et il incombe aux maires faute de pouvoir imposer à tout le moins d’inviter et inciter enseignants, élèves et parents à y participer.
La plupart des commémorations concernent des guerres (le 14 juillet 1789 faisant plutôt figure d’exception sur le fond comme sur la forme bien qu’elle donne lieu à des défilés militaires que je considère comme une étrange manière de commémorer l’évènement…). Ou plutôt la fin de guerres vécues et transmises par les contemporains comme terribles tragédies.
Elles concernent pour la plupart le peuple français touché dans son ensemble, et la date renvoie à un moment fort de la mémoire collective des contemporains (11 novembre, 8 mai, 25 août) ou que l’histoire officielle a élevé au rang de souvenir de tous (18 juin).
Aucune de ces commémorations officielles ne renvoie à la date du jour où fut pris le décret ou votée la loi décidant de commémorer. S’il en était ainsi on célébrerait la libération le 07 mai au mieux (date de l’adoption de la loi de 1946 instaurant la commémoration le 08 mai si c’est un dimanche, ou le dimanche suivant) ou pire le 20 mars (date de l’adoption du 08 mai comme jour férié…)
Absurde? Bien sûr.
Pourtant c’est ce qui s’est passé dans ce pays récemment.
La loi no 2001-434 du 21 mai 2001 (publiée au J.O n° 119 du 23 mai 2001) tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité dite Loi Taubira stipule en son article 5 : « En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large ; »
3 ans plus tard, sort enfin un décret d’application. Le décret du n°2004-11 du 05 janvier instaure un « Comité pour la mémoire de l’esclavage » composé de personnalités[i] chargé notamment « de proposer au Premier ministre la date de la commémoration annuelle, en France métropolitaine, de l’abolition de l’esclavage, après avoir procédé à la consultation la plus large ». Dans son rapport le comité propose la date du 10 mai au gouvernement. C’est la date de l’adoption par le sénat (adoption définitive) de la loi Taubira.
Le comité explique sa proposition qu’ainsi au travers des sénateurs on rend hommage au travail des descendants des esclaves (sic) et surtout que compte tenu du caractère universel du concept de « crime contre l’humanité » il ne faut pas associer la commémoration à une événement national ou géographique spécifique, et qu’une date hors contexte doit permettre de commémorer l’ensemble de la traite et de l’esclavage. Entre la sortie du décret et l’adoption de la loi, bien de choses se sont passées en France. Bien des dates sont à retenir:
Le 21 avril 2002, les émeutes de février 2004 dans les banlieues et au moment où le comité réfléchit, l’adoption par le sénat de la loi du 23 février sur le rôle « positif » des colonies. On reviendra sur la loi et il faudra bien « réhabiliter » le sénat…Oui bien des choses ont changé
Ces arguments ont été rejetés par un grand nombre d’associations antillaises et d’associations de descendants d’esclaves. Ils considèrent que cette date consacre les abolitionnistes mais ne commémore pas les victimes. D’autant que certaines associations (dont certaines très actives) considérèrent que cette loi ne va pas assez loin puisqu’elle désigne les victimes d’un crime contre l’humanité sans désigner les auteurs… ajoutons que la date d’une commémoration commune indiquant l’universalité du crime contre l’humanité devrait relever de l’Onu ou de l’Unesco… Le jour de la proclamation par un parlement national peut-elle être sérieusement avancée?
Jusqu’o une date récente et à maintes reprises le parti socialiste par des communiqués ou les prises de positions de Victorin Lurel (député de Guadeloupe et secrétaire national à l’outre-mer du PS) s’est exprimé en faveur du 23 mai. Pourquoi cette date pour commémorer l’abolition en France?
Le 22 mai 1848 le gouverneur de Martinique proclame l’abolition de l’esclavage suite à l’insurrection des esclaves. Le 23 mai 1848 est donc le premier jour de liberté pour les esclaves martiniquais. Le 23 mai 1998, 300 associations antillaises appelèrent à une manifestation silencieuse, qui réunit 40000 personnes à Paris. C’est ce qui avait amené à choisir délibérément le 23 mai 2001 pour la publication au journal officiel de la loi Taubira..
Bien sûr on peut-être tentés de se dire que l’essentiel est qu’on commémore peu importe quand, comme semble l’avoir fait Taubira elle-même en finissant par prendre position pour le 10 mai, le parti socialiste lui même se résigne même et pire dit dans un communiqué que « la journée du 10 mai commémore l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage » mais va jusqu’à souhaiter que la date du 23 mai soit aussi pleinement reconnue. On aurait donc si on en croit ce communiqué à l’avenir deux dates à 15 jours de distance pour commémorer l’abolition de l’esclavage ? Absurde.
Mais passons sur ce communiqué bâclé, qui espérons le sera vite oublié. J’espère en effet qu’on trouvera rapidement après le changement que j’appelle de mes vœux en 2012 un accord avec les associations pour proposer une date qui commémore la souffrance infligée aux esclaves et salue leur combat victorieux pour imposer aux colonisateurs l’abolition.
Par là même on permettra au peuple français de se souvenir, de penser, d’échanger, de comprendre ce qui s’est passé durant ces siècles sombres. De penser aussi à l’esclavage sous ses formes contemporaines. Or en choisissant une date qui dans la mémoire du peuple français – et pas seulement de gauche – et des journalistes fait sens pour une toute autre raison que l’abolition de l’esclavage on ne permet pas à la commémoration de remplir pleinement son rôle. Le 10 mai en effet est pour le meilleur ou le pire associé par les Français à la victoire de François Mitterrand en 1981. Pendant encore longtemps, les journalistes, les commentateurs, associeront cette date d’abord à cet évènement davantage qu’à l’adoption par le sénat de la loi Taubira et par (une curieuse) extension à la traite et à l’esclavage. Il faut mettre fin au mépris et au caractère subalterne de cette commémoration par rapport aux autres et non s’y résigner.
[i] Maryse Condé, Françoise Vergès, Nelly Schmidt, Christiane Falgayrettes-Leveau, Henriette Dorion-Sébéloué, Marcel Dorigny, Gilles Gauvin, Fred Constant, Claude-Valentin Marie, Serge Hermine, Jean-Godefroy Bidima, Pierrick Serge Romana