Travail de mémoire
admin | 5 mars 2010Si j’ai appris une chose de mes études en Histoire, c’est à me méfier des témoignages et de la mémoire.
Notre cerveau à une impressionnante capacité pour nous resservir une « mémoire officielle » . L’historien, le journaliste qui ne confronterait pas les souvenirs d’un témoin à d’autres sources a toutes les chances de s’égarer, d’être égaré par le témoin, malgré lui.
Hier soir en rentrant de la projection de « La Rafle », je me remémorai la première fois où je fus confronté à ce que fut la deuxième guerre mondiale. Pas de doute. C’était en voyant le film Shoah, en Allemagne, à l’age de neuf, dix ans, obligé par mes parents.
Ce matin, l’esprit plus clair, et grâce à internet et aux documents ramenés de chez mon père, j’ai reconstitué la réalité.
Tout d’abord le film ne s’appelait pas Shoah, mais « Holocauste » .
C’était un feuilleton américain, en quatre parties. 419 mn en tout. Elie Wiesel notamment contesta le principe même d’une fiction commerciale pour traiter d’un tel sujet. 1 américain sur deux l’a vu. 1 allemand sur trois. Dont moi.
Dont moi?
Impossible. Je n’ai pas pu le voir en Allemagne. Le téléfilm est certes sorti en juin 1978 aux États-Unis, mais il fut diffusé en Allemagne en janvier 1979. Or en juin 1985 j’étais en terminale. Le rapport? La certitude de la date. J’ai un papier qui prouve, atteste ce fait. Je sais aussi qu’en France, je n’ai jamais redoublé. Je sais aussi que je suis arrivé en France un peu après la rentrée des classes (15 jours, un mois, ?) en classe de sixième. Donc fin septembre, courant octobre 1978 au plus tard.
C’est donc en France, en 1979, sur Antenne 2 que j’ai vu « l’Holocauste » .
Qu’est-ce que ça change? Rien. Mais cela montre que le cerveau humain n’est pas seulement capable d’écrire une mémoire officielle, il est aussi capable de nous égarer sur des aspects insignifiants pour nous détourner d’une émotion trop forte.
La Rafle est un film poignant, un film nécessaire. On peut, on a le droit, on doit même le critiquer. Deux ou trois choses m’y gênent. C’est notre droit, comme ce fut celui d’Elie Wiesel. Mais d’abord il faut le voir. Tout comme mes parents m’ « obligèrent » à voir « l’Holocauste », j’ « obligerai » les adolescents qui m’entourent à le voir. Et ma fille n’attendra pas ses 16 ans pour le regarder. Le cinéma au service de l’Histoire reste redoutablement efficace.
Je n’ai pas été traumatisé par « l’holocauste » : en tout cas ni par l’ « obligation » qui me fut faite, ni par le film. Je fus traumatisé par ce que l’humain est capable d’infliger aux autres êtres humains. Je le savais déjà. Ce n’est pas par amour pour l’Europe que nous vivions là. Même si au maximum mes parents me préservèrent, j’ai épié les histoires, les nouvelles qui parvenaient à mes parents, en Allemagne, des uns et des autres. Je fus rapidement familier des mots « desaparecidos ». Ou pire « lo encontraron » (ils l’ont trouvé) suivi de larmes. Je sais que telle femme enceinte épouse d’une de nos connaissances fut assassiné devant ses parents, et tant d’autres « événements », sans parler de celles encore plus proches, sur lesquelles je sais le moins. Le silence de mes parents, de mes frères sur ce qu’ils ont vécu est d’une telle violence. Qui leur en voudrait pourtant de ne pas vouloir en paroles, ni en écrits raconter, s’infliger, m’infliger cela? Mais moi comment transmettrai-je tout cela à ma fille?
Après avoir vu le film « Holocauste », je savais que l’horreur humaine n’était pas le propre des militaires argentins. Que ce que nous avions subi n’était rien. Nous nous avions où fuir. Nous avions pu partir à temps. Plus tard, j’appris qu’en tant d’époques, en tant de lieux l’humain est capable d’horreurs indescriptibles envers son prochain. Plus tard encore j’acquis la conviction que tout humain est capable du pire. Que nul ne peut réellement et sincèrement répondre « je n’aurais pas agi ainsi, j’aurai refusé, j’aurai été du bon coté ». Certains seulement peuvent, après avoir traversé l’horreur, dire « Je n’ai pas agi ainsi, j’ai refusé, j’ai été du bon coté ». En général d’ailleurs ils ne le disent pas, on doit le dire à leur place.
En tout cas je suis convaincu on doit encore et toujours essayer de voir en face ce reflet contrasté de l’humanité dans le miroir de l’histoire.
Mais si je vais « imposer » à Thomas, Clém (le troisième se reconnaîtra) ce film, c’est aussi parce qu’ils sont français. Il a fallu attendre si longtemps un film. il avait déjà fallu attendre si longtemps une position politique officielle claire et digne en 1995, venant du Président Chirac: « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » Le film montre que cela alla encore au-delà. Mais il fallut attendre encore 15 ans pour qu’un film traite, ainsi, de la Rafle. On trouve certes un documentaire de 1992 « les enfants du vel d’hiv » de Maurice Frydland, et des films comme Monsieur Klein l’évoquent. Pourquoi faut-il que notre cinéma mais surtout notre télévision soit si rétive a nous aider a comprendre notre histoire? La télévision va-t-elle continuer longtemps à considérer qu’en diffusant 15 fois la Grande Vadrouille (depuis sa sortie en 1966) elle en est quitte? Pour être complet précisions qu’Arte a rediffusé « Holocauste » en 2005.
C’est très bien de le rappeler, mais dans certaines écoles de la République, il y a beaucoup de professeurs qui se refusent à l’enseigner
[…] appris une histoire dont je n’avais jamais entendu parler: la deuxième guerre mondiale (cf. mon billet précèdent), j’ai continué à suivre aux « actualités » les différents […]