Tortueux
admin | 4 janvier 2011Je ne cesse de me répéter la phrase. J’ai beau la tourner et la retourner dans ma tête, je ne parviens à comprendre. J’ai regardé la séquence en entier. Les différentes interventions. C’est clair, c’est net. Rien à redire. Ou alors juste pour chipoter. Mais cette formule là… J’ai beau la placer dans le contexte, l’en extraire, chercher des explications. Non rien n’y fait ça me reste en travers. Vous me direz que j’ai un esprit bien tortueux. Me fixer ainsi sur une petite phrase. Une formule passée dans le langage courant. Une simple maladresse qui ne saurait cacher d’autres phrases bien plus lourdes de sens et de conséquences auquel elle voulait répondre.
Assurément mon esprit est tortueux comme les chemins que j’ai emprunté pour parvenir jusqu’ici. Tous les chemins ceux de l’amour, ceux de la politique, ceux de la vie ont été tout, sauf droits.
Mais quel lecteur de ce blog s’étonnera de ma colère? Il se nomme « andando« . Il est inspiré des vers de Antonio Machado: « caminante no hay camino el camino se hace al andar…« . Alors le droit chemin je laisse cela au Pape, à l’autre Benoit, qui pourtant ne cesse ces derniers mois d’emprunter les chemins de traverse pour justifier les injustifiables erreurs de son Église, en matière de Sida, de pédophilie, de sexualité en général. En attendant peut-être, au moment où en Argentine on a enfin condamné Videla et consorts à de la vraie prison, de se pencher sur le comportement ignoble de tant d’évêques complices actifs de tant de dictateurs.
Non, ni pour atteindre le paradis, ni en politique il n’est de droit chemin. L’enfer ne guette pas celui qui sort du sentier. Le sentier il se construit chaque jour, ensemble… ou pas. Manuel a décidé de cheminer seul. Soyons honnêtes il n’est pas tout à fait seul. Il a pour le suivre outre la direction fédérale de l’Essonne, ici où là des membres du PS qui pensent comme lui. Il est pour quelques élus un peu timorés, celui qui ose dire ce qu’ils pensent haut et fort, et qu’ils ne peuvent dire de peur d’être voué aux attaques de leur section. Manuel a fait le nécessaire, il ne court aucun risque de ce coté là.
J’ai réagi vite, vivement, avec mon humour à moi, aux propos de Manuel. Non pas parce qu’il n’aurait pas le droit de développer des idées neuves, ou même agiter des vieilles lunes en faisant les fonds de tiroirs d’une droite éculée. Il a tous les droits de la terre. Mais cette liberté implique l’égalité, donc la réciprocité de cette liberté. J’ai réagi non parce qu’il aurait touché un tabou, ou parce qu’il serait sorti du droit chemin mais parce qu’il ne respecte pas les règles communes et que je suis en désaccord avec sa proposition. Jérôme Guedj a écrit sur facebook (et pas sur son blog, je suppose pour ne pas interférer avec la campagne des cantonales) cela avec bien plus de finesse et de recul que je ne saurai le faire ou que ne l’a fait Benoit. Je vous invite à lire son texte.
Ma réaction est aussi un ras le bol, depuis de longs mois je regrette le comportement d’un certain nombre de camarades, Manuel est loin d’être le seul, qui bien qu’en désaccord avec les textes soumis au vote des militants, s’abstiennent au mieux, au pire s’éclipsent au moment du vote. Je regrette cette notoire absence de courage, de travail ou cet excès de calcul de communiquant, qui consiste à ne pas débattre quand c’est à l’ordre du jour, à ne pas assumer ses désaccords, à ne pas proposer au vote des militants des alternatives, mais les porter plus tard devant la presse et brouiller ainsi le message de la majorité du parti. Ces habitudes héritées de la période Hollande, sont dramatiques. Non pas pour aujourd’hui, mais pour demain. En cas de défaite. Parce que si en 2012, comme certains semblent le souhaiter y compris à gauche, le parti socialiste échouait à rassembler la gauche et au-delà, une majorité de Français pour prendre le pouvoir et mettre en œuvre la politique proposée aux français par la majorité des militants, et après accord – non seulement inévitable, mais souhaitable – avec nos partenaires (rouge, vert, …) le parti socialiste se retrouverait comme après 2002 sans alternative à proposer pour relever la gauche.
Oui il est sain qu’il y ait débat, mais il est plus sain que celui-ci ne soit pas un débat permanent sur les mêmes questions. Il est nécessaire de se fixer un cadre commun de débat. Un timing pour ce débat. Il faut chercher à dégager les points d’accords, qui font que l’on se retrouve dans la même organisation politique. Mais il faut aussi avoir le courage, et l’honnêteté de pointer clairement, noir sur blanc les divergences. Il faut dans la tradition de la gauche démocratique, confronter texte(s) contre texte(s), et trancher par le vote, après une période de débat loyal et réel. Une fois les questions tranchées, la majorité met en œuvre et porte la parole du parti, et la/les minorité(s) portent l’alternative possible, sans renoncer à leurs convictions. Ils continuent à l’intérieur du parti à chercher à convaincre et devenir majoritaire, quoi de plus légitime? Voire expriment à l’extérieur, leurs nuances sans chercher à semer le doute sur ce que seraient les intentions du parti mais en s’assumant minorité.
Ce que je décris n’est pas un droit chemin. C’est un chemin possible, assurément semé d’embuches. Mais c’est la décision de faire ce chemin ensemble, sans s’interdire d’explorer parallèlement d’autres voies qui fait sens dans l’appartenance à un parti.
Manuel en se taisant il y a 6 mois au moment de la convention nationale, en ne pipant mot sur cette proposition durant le mouvement des retraites préférant s’exprimer dans « son » livre (on n’aura j’espère pas le culot de nous opposer aujourd’hui que ce qui est dans le livre doit être connu ni qu’il y aurait une date de péremption après laquelle on n’aurait plus le droit que de dire amen) indique qu’il n’est pas dans la construction d’un chemin collectif possible ni dans le respect des règles adoptées ensemble. Il indique ainsi être dans la crainte de devoir se compter. Il a probablement tort. Ne me déplaise, je suis sur qu’il représente plus dans l’intimité de l’isoloir, que bien des personnes ne font mine de le croire. Mais surement moins qu’il n’est nécessaire, pour garder sa position de chouchou des médias.
Manuel cherche à imposer son rythme, à mettre en pratique cet adage de communicant: « peu importe ce que l’on dit de moi, pourvu que l’on parle de moi ». Il cherche à exister dans les six mois qui viennent, parce que après, il le sait, les médias se détourneront de lui lorsque les primaires approcheront. Il lui faudra alors aller encore plus loin dans la « provocation » pour exister … ou se rallier. Comme jadis ce partisan du non au traité européen se rallia au oui: « J’étais partisan du non, mais face à la montée du non, je vote oui ».
Que personne ne rêve. En cas d’échec en 2012 de la gauche, Manuel ne ralliera pas la droite. Il rêve probablement d’être le Blair français, certainement pas un sous Besson. Au pire à 70-75 ans si tout va mal pour la gauche d’ici là, deviendra-t-il un nouveau Kouchner… et encore.
Donc oui on peut débattre des 35 heures. La question était à l’ordre du jour de la convention pour un nouveau modèle de développement économique, sociale et écologique. Non Manuel ne s’est pas exprimé a ce moment là. Il n’a pas proposé d’amendement soumis au vote des militants.
J’aurais évidemment voté contre un tel amendement et voici succinctement pourquoi : Je suis en désaccord avec cette proposition qui n’est pas sacrilège, mais simplement incompatible avec mon vote. Lorsqu’on travaille 41 ans, que l’on a 5 semaines de congés payés par an, travailler 3 heures de plus par semaine cela représente 5800 heures de travail en plus dans une vie… soit l’équivalent de près de 3 ans et demi de de travail en plus. 3 ans et demi que l’on ne consacre pas à sa famille, 3 ans et demi que l’on ne consacre pas à la vie citoyenne. 3 ans et demi qui s’ajoutent aux années passées dans le transport pour aller et revenir du travail (le temps moyen en France passé dans les transports étant d’une demi-heure par jour, soit 2h30 par semaine…). Les trente cinq heures, la réduction du temps consacré au travail au cours de sa vie, sont un choix de civilisation à dit jadis Michel Rocard. Il m’avait convaincu. Je suis toujours pour cette civilisation dans laquelle le travail occupe une place essentielle permettant d’assurer son bien être personnel, familial, etc. et participant de la construction de la société. Mais une civilisation qui fait que l’on travaille pour vivre et non dans la quelle on ne vit et on ne saurait s’épanouir que par le travail. De plus Manuel va plus loin, il espère que par un coup de baguette magique le patronat tout heureux de voir rester les salariés plus longtemps dans l’entreprise leur augmente – sans aide de l’état – les salaires… tous les salaires de … 8,5%. Quelque soit la taille de l’entreprise, quelque soit le chiffre d’affaire, quelque soit la structure des gains de l’entreprise. Pour le coup, s’il y en a un qui n’a vraiment tiré aucune leçon de notre action passée au gouvernement c’est, je crains bien Manuel. Enfin, comment oublier que la négociation sur le temps du travail a donné lieu presque partout à des négociations sur l’organisation du travail, des pauses ont été rognées, et le patronat (et cette expression n’a pour moi rien de méprisant) a logiquement cherché à faire faire au maximum en 35 heures ce qui était fait en 39 auparavant. Rappelons que par exemple la société Bigard avait réduit les temps des pauses pipi (jusqu’à ce qu’un grève et un tribunal mette fin à la pratique – par précaution je n’ai jamais plus acheté de viande Bigard. Au passage un tribunal vient de condamner une entreprise argentine de Bus qui obligeait ses chauffeurs à porter des couches). Quid lors de l’accroissement de la durée légale, on rallongera les pauses clopes? ? (Bon pour aller plus loin et plus rigoureusement sur le fond je vous invite à m’imiter et à vous abonner à Alternatives économiques.c’est pas beaucoup plus cher que les livres de Manuel)
Donc sur la forme (mais en politique la forme que prend la prise de décision et l’élaboration de propositions sont du fond) comme sur le fond je suis en désaccord avec Manuel. Avant de clore ce long article, un point qui me tient à cœur. Qui relie forme et fond. Nul besoin en France lorsqu’on est attaché au rôle des parlementaires d’attendre une présidentielle pour avoir ce débat. C’est après la dissolution après une législative que la gauche plurielle a mis en œuvre les 35 heures. Pourquoi le député Valls, auteur parfois d’excellentes propositions de loi, comme celle sur le droit de mourir dans la dignité, ne dépose-t-il pas une proposition de loi accroissant la durée légale du travail? Est-ce la « discipline » de groupe qui le fait hésiter? Si tel est le cas, c’est une excellente nouvelle pour Benoit. Et l’année commence mieux politiquement qu’il n’y paraît. Pour moi ça ne change pas grand chose, j’ai toujours trouvé que discipline de groupe et droit chemin sonnaient aussi mal.
Il y a dix ans j’adhérais au parti socialiste. Je ne le regrette pas, même si je me dis souvent qu’ailleurs qu’en Essonne, j’aurais pu m’intégrer. Une des choses que j’ai apprises, c’est que dans ce parti peut être plus que dans tout autre (à l’exception des verts peut-être) il faut accepter d’être dans le même parti que des personnes avec qui on n’a en commun que la carte. Ce n’est pas une raison pour vouloir leur enlever. Au final de cet écrit tortueux j’arrive peut être à comprendre pourquoi la phrase de Benoit passe si mal et m’affecte bien plus que les propos de Manuel. Benoit fait parti de ces camarades avec qui je partage bien plus qu’une carte.
Je ne pensais pas aller au bout du long chemin de ton texte, Luis, mais il faut croire qu’il n’était pas si tortueux, car je l’ai suivi avec plaisir. Oui, le reproche à faire à Manuel est moins dans le contenu de ses propositions que dans la manière de les utiliser pour faire sacandale à tout prix. Mais ses propositions ne tiennent pas la route, et il préféré le chemin de Damas…
hélas…ce n’est qu’un début…les solistes sont sortis de la boîte et 2011 verra le concours de la beauté socialiste individuelle s’épanouir…
Rien ne change, donc.
En 2007, dans « l’impasse » (un titre prémonitoire ?), Lionel Jospin écrivait : « les adhérents (du PS) éprouvent, me semble-t-il, des sentiments contradictoires : ils souhaitent qu’on puisse débattre, ils craignent des déchirements ».
Ce parti peut-il changer ? On voudrait encore y croire, mais ça devient difficile.
Le même auteur, dans le même livre :
« Le nouveau cycle peut être celui d’un grand parti de toute la gauche échappant enfin à la guerre des deux gauches, réformiste et radicale. il faudra pour cela offrir un libre dialogue aux Français et à toutes les forces qui veulent proposer ensemble un nouveau cap. A celles qui nous ont accompagnés ces dernières décennies. A d’autres, jusqu’ici restées à l’écart, y compris au centre. A d’autres encore, présentes dans la mouvance altermondialiste, proches des syndicats ou issues de la société civile. L’objectif sera d’élaborer une nouvelle synthèse politique, sans présupposé ni tabou, et de créer un mouvement capable de représenter une alternative à la politique actuelle ».
Mes chers commentateurs, je vous souhaite une très bonne année 2011 et vous remercie d’avoir la patience de me lire 🙂