Rafting
admin | 16 novembre 2015Il y a de nombreuses années, alors que je ne savais pas nager, et que j’avais peur panique de l’eau, j’ai fait dans la cordillère des Andes, du rafting.
Je ne sais encore comment, ni pourquoi je l’ai fait. Chaque seconde passée sur cet esquif m’a paru une éternité. Me revenaient en mémoire alors, les quelques fois où dans l’Atlantique (de part et d’autre), dans des piscines, dans une rivière de l’Yonne, j’ai perdu pied et paniquant j’ai enclenché une crise d’asthme. Parmi les spectateurs involontaires, il se trouvait, à chaque fois, une ou deux personnes pour me sauver tandis que d’autres riaient croyant à une blague.
Ce jour là dans les Andes, chacune de ces noyades, je l’ai vécue de nouveau dans ce morceau de pneumatique.
Pourtant l' »aventure’ fut exceptionnelle, inoubliable, et je la rééditais à quelques reprises.
Aujourd’hui, des décennies plus tard l’appréhension est toujours là. Le sentiment précis éprouvé à chaque noyade, le goût de l’eau qui inonde ma gorge parfaitement palpable. Mais désormais je m’amuse dans l’eau.
C’est ce qui me vient à l’esprit pour essayer de faire une analogie avec ce que je ressens depuis vendredi soir. Ce sentiment de noyade, de submersion, de perte totale du contrôle, tandis que simultanément remontent les souvenirs de la bombe qui explose à notre domicile à Mendoza… le bruit, le verre, les cris, le garage envahi alors que nous avons à peine eu le temps de descendre de notre chambre. Je n’avais pas 8 ans, et c’était la « guerre sale ». Puis l’exil. Heidelberg, les affiches recherchant la bande à Baader… un dispositif policier impressionnant dans cette ville où est implanté un des QG américains, puis la France, « Carlos », les brigades rouges, la Rue des Rosiers, Saint-Michel … Chaque attentat fait remonter tous les souvenirs, les émotions, les peurs de cette première fois, là-bas calle Granaderos, 1038 à Mendoza. Le moindre coup de pétard me fait sursauter, encore et toujours, de manière absolument disproportionnée.
On s’en veut dans le même temps de tout ramener à soi. On combat cela, on essaye de permettre à la pensée de reprendre pied, et le contrôle. Une fois encore ce blog sera ma planche de salut, parce que je ne sais pas faire autrement. Recourir à l’écriture, malhabile et changeante pour essayer de contenir le maelstrom intérieur. Parce qu’on essaye de se redresser, et de penser l’après. Penser l’après en essayant de comprendre ce qu’on a loupé la dernière fois qu’on a « pensé l’après » qui ne nous a permis depuis de mieux se maîtriser.
Penser et s’identifier aux proches des victimes. Compatir. Communier. C’est important de communier. Ça n’a rien de religieux. C’est humain. Communier, agir selon des rites toujours réinventés pour se sentir membre de la communauté humaine, cette fraternité mise à mal. Quitter son quant-à-soi auquel on a tenté de nous renvoyer pour ré-embarquer dans l’aventure humaine.
Mais de cette analogie avec le rafting me reviennent deux choses, j’avais soigneusement choisi avec qui monter dans le bateau pneumatique, des personnes aptes à me comprendre et m’aider dans l’épreuve. Et un bateau pneumatique… fluctuant nec mergitur.
Alors je vais être plus soigneux dans le choix de mes compagnons de route et dans le navire que j’emprunte pour affronter à mon petit niveau les flots de haine qui s’abattent sur ce pays qui me recueillit quand le mien sombrait.