Impasse
admin | 31 mars 2010J’ai fait l’impasse sur mon article annoncé pour le 24 mars sur la commémoration du coup d’Etat de 1976 en Argentine. J’ai eu beau essayer je n’y suis pas parvenu. Pourtant pendant deux ou trois minutes un article fut publié. Je l’ai relu. et « dépublié ».
Le syndrome du survivant est terrible. Au lieu de porter sa réflexion, son travail sur les coupables, sur ceux qui ont mis la démocratie, l’économie, la société argentine à terre en chassant, expulsant, torturant, tuant, faisant disparaître celles et ceux qui ne pensaient pas comme eux et faisant vivre tout le pays dans la peur, on porte en soi cette terrible douleur de s’en être si bien tiré… Je n’avais que huit ans, j’ai pu aller à l’école, écrire et téléphoner à mes grands parents, voir mes frères, jouer avec mes parents. Ils ont pansé (et pensé) tant bien que mal leurs plaies à l’abri de mon regard d’enfant pour m’épargner. Mais on ne peut tout cacher tout le temps.
Et si au fond ce n’était pas ce syndrome du survivant qui est à l’œuvre, mais juste le fait que nous sommes différents? Rendus différents par ce que nous avons vu et entendu?Différents de qui? De celles et ceux qui aujourd’hui encore disent que ce fut une sale guerre, mais une guerre nécessaire. Différents de ceux qui disent que le bourreau et la victime sont à renvoyer dos à dos.
Une différence qui fait que nous préférons aimer ceux qui pleurent un enfant, un petit-enfant, un parent disparu, aimer ceux qui ont enduré les interminables années de prison, de tortures, aimer ceux qui n’ont pas voulu voir cette énorme et atroce vérité en face, aimer ceux qui ont subi cet exil de l’intérieur plutôt que de nous nourrir de la haine que devraient nous inspirer ceux qui des donneurs d’ordres au dernier des exécutants ont établi et entretenu ce régime.
Nous préférons peut-être simplement pleurer nos morts et nos disparus au fond de nous et leur rendre le plus vibrant des hommages en vivant très fort, très intensément.
Je refuse de toutes mes forces laisser la haine me ronger. Je refuse de céder à la terreur éternelle de croiser demain celui qui en uniforme ou en soutane, avec des lunettes de soleil ou au volant d’une ford falcon fit tant de mal. Pour autant je veux que justice soit faite. Il n’est jamais trop tard pour rendre justice. Dans les tribunaux, mais aussi dans les livres d’école. Non que je revendique une histoire officielle, mais je refuse que soit encore et toujours enseignée uniquement l’histoire officielle écrite par les militaires ou par ceux qui eurent à cœur de vouloir, vite, très vite tourner la page, là-bas ou ici. Je me souviens en effet avoir passé il y a de nombreuses années le concours de rédacteur de la fonction publique (territoriale? d’État? du ministère de l’agriculture? je ne sais plus). Le sujet portait sur le devoir de pardon et d’oubli pour pouvoir établir une société démocratique après une période « sombre ». Je ne me souviens pas des termes. Je savais en voyant le sujet que c’était mal parti, je n’en fis pas moins le travail. Je n’eus pas le concours mais j’enrage de ne pas avoir pu récupérer ma copie. Il m’aurait été utile dans ma réflexion d’aujourd’hui, et si je n’étais pas fait pour être un fonctionnaire recruté sur de tels critères, le texte aurait assurément trouvé sa place dans ce blog. De manière générale je trouve plus que regrettable que l’on ne puisse récupérer de systématiquement son « œuvre », que ce soit les copies de bac, d’autres examens ou concours, même si j’en connais les raisons.
Mais pour revenir à ce 24 mars, à l’époque comme aujourd’hui, je pense toujours qu’un pays ne se reconstruit jamais sans s’appliquer cette devise :
Ni perdon, ni olvido: justicia!
NB: je me suis lancé dans un « vaste chantier » en vue d’un article sur l’abstention. Je suis preneur de toutes réflexions sur le sujet.
[…] je l’écrivais il y a a un peu plus d’un an (Impasse) évoquant le 24 mars 1976, jour du coup d’état militaire : « Je refuse de […]