De l’Hobo…
admin | 13 janvier 2011Dans la « Couleur locale », nouvelle écrite en 1903 et publiée en français en 1974 dans un tome de l’intégrale (cf. L’appel des Livres) intitulé « Les condamnés à vivre« , Jack London conte l’histoire d’un intellectuel qui s’immerge dans le monde des Hobos. Il s’inspire de son expérience personnelle reprenant des événements présents dans les Vagabonds du Rail, et de sa récente expérience (1902) du reportage qu’il fit des bas-fonds de Londres : Le Peuple de l’abîme.
Selon Wikipédia : « Un Hobo, mot anglais lié à la réalité historique des États-Unis, est un sans domicile fixe se déplaçant de ville en ville le plus souvent en se cachant dans des trains de marchandises, vivant de travaux manuels saisonniers et d’expédients. ». Pour l’étymologie du mot, ma référence habituelle (le CNRTL – Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) séchant lamentablement, je dus encore me tourner vers Wikipédia :
« Certains s’accordent pour dire que hobo est un jeu de mots sur l’homonymie de la contraction de l’anglais homeless bohemia avec le terme slave Robotnik (ouvrier, travailleur forcé) lui-même à l’origine du mot Robot créé par Karel Čapek en 1920, d’autres affirment qu’il s’agirait plutôt de Houston Bowery, tandis qu’une autre origine possible serait la ville terminus de Hoboken (New-Jersey), point de départ de nombreuses lignes ferroviaires empruntées par les trimardeurs, à moins qu’il ne s’agisse aussi de la contraction de ho boy employés dans les fermes. » ;
Jack London paraît évidement dans la liste proposée par Wikipédia de « quelques personnalités qui sont ou ont été à un moment de leur vie hobo », mais ignore l’étymologie que Jack propose dans « La couleur locale » et je ne résiste pas à la tentation de vous la fournir:
« Le Hobo, […] est le nom donné dans les prisons des villes et des provinces au local spécial de détention où sont rassemblés les chemineaux[1] les poivrots, les mendiants et le menu fretin des délinquants. Joli en lui-même le mot possède son histoire. Hautbois, en français désigne un instrument de musique en bois, à clés, qui se joue anvec une anche double, et que vous connaissez. En anglais ce nom devient hautboy. Vous vous rappelez dans « Henri IV » :
De l’étuy d’un hautboy
Il faisait sa cour et son toyt
De là à Ho-boy, il n’y a qu’un pas : voilà pourquoi les Anglais employaient indifféremment les deux mots. Mais – et remarquez-le bien, car le saut est stupéfiant – en traversant l’Océan, hautboy ou ho-boy, dévient à New-York le surnom qui désigne l’égoutier. On admet, dans une certaine mesure, qu’il soit né du mépris témoigné aux artistes et aux musiciens ambulants. Mais pourquoi au boueux, au paria, au miséreux, à l’avili, au hors caste ! Et dans son dernier avatar, par une conséquence logique, le mot vient s’appliquer au vagabond américain, j’ai nommé le ‘tramp’. Mais si les autres ont altéré son sens, le tramp altère sa forme et ho-boy se transforme joyeusement en ‘hobo’. C’est pourquoi les vastes cellules de briques et de pierre bordées d’un double et triple rang de couchettes où la Loi a coutume d’incarcérer le vagabond sont dénommées par lui le Hobo. »
Cet extrait montre assez bien la distance qu’il y a entre la diversité de l’œuvre de Jack London et l’image d’Epinal qu’en gardent de ses livres la plupart des personnes. Ce qui amène Francis Lacassin préfacier des « Condamnés à vivre » à conclure : « Quoique traduites de 1934 à 1936 par Louis Postif, ces dix nouvelles n’ont jamais réussi à quitter ses tiroirs […]. Un public qui avait appris à aimer Jack London à travers des héros ne pouvait qu’être indisposé par des victimes. »
Mais si j’ai la passion pour les mots, je ne suis pas un érudit, ni un passionné d’étymologie, ce qui a davantage retenu mon attention sont ces mots que Jack London place dans la bouche du personnage auteur d’un récit sur les hobos :
. « Je prouvai que la société dépense plus pour l’arrestation, le jugement et l’emprisonnement des vagabonds que si elle les hébergeait dans les meilleurs hôtels pendant le même laps de temps. J’étayais mon raisonnement par des faits et chiffres, traitements des policiers, frais de transport, de tribunaux et d’écrou. Ma démonstration, péremptoire, se poursuivait sur un mode léger et humoristique qui appelait le sourire, mais laissait l’aiguille dans la plaie. Je soutenais que le défaut capital du système consistait dans la spoliation et le pillage au détriment des vagabonds. Le bon argent, que la communauté dépensait pour les combattre, leur eût permis de se vautrer dans le luxe au lieu de pourrir dans les geôles. J’allais jusqu’à émettre la possibilité, non seulement de leur payer le meilleur hôtel, mais de leur offrir tous les jours deux cigares à vingt-cinq cents et un coup de cirage à dix cents, sans qu’il en coutât aux contribuables autant qu’ils déboursent d’ordinaire pour les juges et les garde-chiourme. Du reste, ainsi que les événements le confirmèrent par la suite, les contribuables en eurent la puce à l’oreille.
[…] En prenant les contribuables par le fond de leur porte-monnaie, je savais les rendre perméables au sentiment : alors je leur en jetai jusque-là… »
A quoi sert la prison, à quoi sert-il d’investir autant, à réprimer ceux qui vivent en marge de la société, par choix parfois, victimes le plus souvent : des circonstances, de la marche forcée de la société, des addictions, ces chaînes qui vous serrent en vous laissant l’illusion de la liberté et de la rébellion. Est-ce à protéger la société, ou à cacher ces différences qu’elle ne saurait voir ? Enfermer les clochards, les prostitués, cela sert-il autre chose qu’à « rassurer le chaland » (pour reprendre l’expression d’un de mes amis) ? N’est-ce pas aussi donné à bon compte à des forces de l’ordre l’impression de réussir une mission tandis qu’ils échouent fautes de moyens à endiguer des formes plus nuisibles de délinquance ?
Évidemment comment ne pas penser alors aujourd’hui, au risque de quelque anachronisme, aux efforts permanents faits dans notre société contre les immigrés clandestins, ces chemineaux de la mondialisation ?
- [1]Là le CNTRL ne sèche plus je vous en fournis la définition pour montrer aussi le formidable outil que constitue ce site gratuit (http://www.cnrtl.fr/) que j’ai déjà eu l’occasion de citer :
« CHEMINEAU1, CHEMINOT2, subst. masc.
Vieilli. Homme qui erre par les chemins et vivant de menus travaux, de charité, ou de larcins. Synon. mod. vagabond. Tous les vagabonds et tous les chemineaux errant bien loin à la ronde (A. France, L’Orme du mail, 1897, p. 210). Il y a plus de trente ans qu’il a quitté le pays et qu’il marche, chemineau ou mendiant (Renard, Journal, 1905, p. 996).
Rem. 1. Nouv. Lar. ill. précise ,,Nom donné, dans les ateliers de construction, aux ouvriers terrassiers qui vont d’un chantier à l’autre et aux ouvriers travaillant aux déblais et remblais de chemin de fer.« Pour Lar. encyclop. et Quillet 1965 il s’agit d’un ouvrier agric., d’un journalier. 2. On rencontre ds la docum. a) Le fém. cheminaude. Hors d’ici, la gueuse! Au bois, la cheminaude! Gardons-nous de la vagabonde (M. Lefèvre, Les Gestes de la chanson, 1896, p. 100). b) Le fém. cheminote, signalé ds Rheims 1969 qui cite M. Schwob, Cœur double, O.C., p. 15 : Joues flétries, mollets tordus, dos courbé par les panerées de sardines, c’était une cheminote bonne à marier, et qui donne au terme le sens de vagabonde.
Prononc. et Orth. : [ʃ(ə)mino]. Pour [ə] muet cf. chemin. Nouv. Lar. ill. traite, s.v. chemineau, le terme qui désigne un vagabond et celui qui désigne l’employé des chemins de fer. Il signale : ,,S’écrit aussi cheminot.« Pt Lar. 1906 admet chemineau ou cheminot. Ac. n’admet le mot qu’à partir de 1932 et distingue chemineau (vagabond) et cheminot (employé des chemins de fer). Cf. déjà Lar. 20e puis, apr. Ac., Rob., Lar. encyclop., Lar. Lang. fr. Étymol. et Hist. A. 1896 cheminaude (M. Lefèvre, Les Gestes de la chanson, p. 100); 1897 (J. Richepin, Le Chemineau [titre]). B. 1899 cheminot (Nouv. Lar. ill.). Dér. de chemin* « sentier », suff. -(e)au*; le fém. est formé p. anal. avec les mots en -aud, fém. -aude (maraude, ribaude); cheminot par substitution de suff., peut-être sous l’infl. de cheminot1*. Fréq. abs. littér. Chemineau1 : 58. Bbg. Pauli 1921, pp. 20-21.↩