« Ce n’est pas l’inégalité qui est un malheur, c’est la dépendance », Voltaire (1764).
admin | 23 décembre 2009Il y a deux mois je démarrais ce blog. Sans savoir combien de temps je tiendrais. 12 articles publiés (17 dormant dans les brouillons) plus tard, il semble que cette tentative pourrait s’avérer fructueuse. En tout cas plusieurs points positifs: un j’écris et ne jette plus au feu, je me suis débarrassé du complexe « tout ce que je pourrais écrire l’a déjà été et en mieux ». Non pas que ce ne soit vrai, mais ayant pour habitude de citer mes lectures, peut-être cela servira-t-il a donner envie ici où là d’aller lire quelques œuvres bien écrites et porteuses d’idées.
En réalité, les deux mois c’était hier, mais les seuls sujets qui m’inspiraient touchaient de trop près à mon activité professionnelle, que je m’interdis d’aborder ici. Pour ne pas oublier j’écris quand même, mais mets en brouillon pour plus tard. Rien de croustillant je rassure, juste que j’ai trop souffert dans mon activité fédérale (au point de la cesser il y a quelques mois) que l’on fasse endosser mes propos et actes à mon employeur. C’était insultant à son égard et au mien. Donc je m’auto-censure. Cela m’a toujours fait penser au débat sur le droit de vote des domestiques qui agita les XVIIème et XVIIIème siècles.
Ainsi en 1647, les républicains anglais proposaient d’accorder le suffrage à tous les hommes d’âge adulte, hormis les serviteurs à gages et les mendiants. Le suffrage retenu fut censitaire ce qui donna lieu à débat mais nul ne contesta la nécessaire distinction à faire entre libres et dépendants. Être « né libre » (freeborn) c’est pouvoir exercer son droit naturel à la liberté, et ne s’en être privé par délinquance, par mendicité ou par domesticité.
C’est aussi la lecture que l’on peut avoir du suffrage censitaire instauré par la révolution française à ses débuts. Robespierre s’y opposera pourtant voyant dans l’indigence la source de la dépendance: « Sans distinction de fortune: plus de citoyens actifs et passifs, bientôt plus de maîtres, plus de serviteurs, mais une stricte égalité civile entre les citoyens. »
Mais la méfiance des révolutionnaires n’était pas dû (pour tous du moins) à la distinction sociale, mais de la crainte que les gens de maison, notamment ceux liés à des aristocrates, soient par leur situation de dépendance contraints de s’exprimer en fonction des seuls intérêts de leurs maîtres.
Aujourd’hui encore il semble que la proposition d’article des droits de l’homme déposé par les Montagnards ne soit d’actualité aux yeux de quelques camarades, que je soupçonne (faut bien que je reste fidèle à ma réputation d’ hautain) d’être peu familiers avec les débats parlementaires de la révolution française: « Tout homme peut engager ses services, son temps; mais il ne peut se vendre, ni être vendu; sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité; il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance, entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie » (Article XVIII, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 24 juin 1793)
Pour mes camarades, comme pour quelques autres : ce que je dis, ce que je fais, ce que j’écris je l’assume, je l’assume seul. On ne peut imputer mes turpitudes ni à mon employeur … ni à mon épouse (un autre débat que la France mit beaucoup, beaucoup de temps à régler… la France chrétienne millénaire devrait s’en rappeler parce que nous le verrons ressurgir bientôt, il est sous-jacent du débat sur la Burqa).
Revenons à la révolution française, c’est à elle que je dois mes plus intenses moments de bonheur « intellectuel ». Si j’ai baigné depuis ma naissance dans la philosophie et l’histoire, c’est vers l’âge de 25 ans que je me suis – modestement et de manière éphémère – confronté à la « matière » historique.
Mon deug d’histoire fut d’avantage consacré à la découverte approfondie et exclusive de l’activité militante et fort fort peu aux études. Je poursuivis dans le militantisme à temps plein jusqu’à ce que dans un moment de lucidité, poussé et aidé par quelque ami, et au premier chef d’entre eux, Jean Ridoux, un grand grand bonhomme, que j’ai perdu de vue, mais que je n’oublie pas, je m’inscrive à Jussieu. Déterminé à ne pas militer (je me fis quand même plaisir en participant à un congrès de l’Unef-SE qui passait par là) je me concentrais sur ma licence. En cours du soir, puisque étant objecteur de conscience mes journées étaient prises. Si je n’avais alors eu 5 enseignants absolument extraordinaires je pense que je ne serai pas allé au bout. Je reviendrai sur les 4 autres mais c’est avec Florence Gauthier, qui enseignait la révolution, que je choisis de tenter une maîtrise. Tentative infructueuse.
Je reste aujourd’hui encore fasciné par le niveau des débats politiques de l’époque et la relative rapidité et profondeur avec laquelle la société s’imprégnait de ses débats. Florence Gauthier m’apprit beaucoup, elle me permit de rencontrer d’autres étudiants passionnant et passionnés. C’est d’eux que j’appris la complexité du débat pour définir la citoyenneté, le jeu des rapports de force, les compromis faits et qui paraissent aujourd’hui évidents au point d’oublier qui les impulsa (coté droit, coté gauche, etc.). Ainsi l’assemblée constituante proclama les juifs libres et égaux (je maintiens, Pierre-Yves, que l’édit de 1787 ne concerne que les protestants et ne règle pas la question des juifs) mais cédant à la pression du coté droit instaure lors de ce débat la « nationalité ». Mais c’est internet qui m’aida a rafraichir ma mémoire au travers de l’article de Jean-Pierre Gross.
Je ne regrette rien de ce qui suivit, aucun des choix qui m’éloignèrent de l’université. Mais je n’ai pas non plus renoncé à me replonger, un jour, sur ces thèmes là. Chaque fois que je traverse un période de doute quand à mon engagement politique, je retourne dans ces débats là pour me ressourcer.
Il est difficile d’écrire, parce que « tout ce que je pourrais écrire l’a déjà été et en mieux ». Il est difficile de faire de la politique « parce que tout a déjà été proposé, et en mieux »… mais pas toujours mis en œuvre. Donc…
Je me rends compte que j’ai dérivé trop loin pour revenir. En effet, en écrivant plus haut « En réalité, les deux mois c’était hier, » je voulais écrire sur la périodicité, le nouvel an, revenir sur l’an 2000 et tout ça, mais voilà … ce sera pour un prochain post… ou pas.