Pour Oward FERRARI
admin | 18 janvier 2010Je publie ici, avec son accord, le texte rédigé par mon frère Carlos Ferrari-Lopez,que j’ai lu lors des obsèques de notre père, avec une pensée très forte pour Jorge si loin physiquement, si proche par l’esprit en toutes circonstances.
« Pour Oward FERRARI
Toutes les civilisations cherchent à arranger des rites et des coutumes pour faire face à la mort et en protéger le passage.
La notre de civilisation, peut-être parce qu’elle n’en est pas une, a du mal à trouver de nouvelles règles.
Papá nous avait laissé des indications précises que nous suivons sagement.
Né à Mar del Plata en 1925, Papá est allé à Mendoza finir ses études universitaires.
Puis il a commencé à exercer son métier à l’Université de Cuyo, Facultad de Filosofía y Letras.
Marié à Nélida López ils ont choisi de vivre au pied de la Cordillère des Andes. Leurs enfants, par ordre d’apparition, Carlos, Jorge et Luis, ont donc eu la chance inouïe de naître et vivre, un certain temps, sous le merveilleux ciel de Mendoza. Merci à nos parents !
Vous connaissez certaines vicissitudes de l’histoire de Oward.
Je voudrais remonter le temps. A 30 ans, il connaît une première persécution politique et universitaire. Ce ne fut pas la dernière.
Le coup d’état de 1955 amène aux universités argentines et en particulier à Cuyo, l’ordre imposé par les militaires ultracatholiques. Oward, jeune enseignant ayant eu une activité syndicale est menacé ; figurant sur une « liste noire » il prend les précautions nécessaires pour ne pas se faire arrêter. Les élections de 1958 lui donnent la possibilité de reprendre une activité universitaire normale.
Si je m’attarde sur ce fait lointain, c’est parce qu’il est moins connu et pour montrer aussi que la persécution, l’exil et même la prison qu’il a connu dans les années 1970 n’ont pas été dans son cas un accident de parcours mais bel et bien la dure conséquence d’un choix de vie, d’homme libre, d’un penseur sans contraintes.
Hélas, dans l’Argentine du XX siècle, le prix a payer était très élevé.
Dans ce sens, Papá n’était pas une exception…mais il était unique.
Vous avez connu cet homme des années 2000, luttant crânement contre la maladie, accroché à son bureau, entouré de ses livres.
L’homme dont vous connaissez l’œuvre écrite et l’agréable conversation, mu par une passion forte, dévorante : la philosophie et le choc des idées.
Cette passion l’animait d’une manière exclusive, l’isolant, lui faisant prendre des distances, y compris physiques, – oh Colmar !- par rapport à ses proches…
Cette ardeur philosophique pouvait se décliner sous la forme de l’enseignement, la docencia disait-il, ou par l’écriture. Maintenant nous avons ses livres…son secret espoir était qu’ils servent à ceux et celles qui dans les universités sud-américaines n’ont pas accès aux livres fondamentaux ; il se voulait le modeste passeur de la pensée de ses grands amis, Kant, Hegel, Marx. Les livres sont des ponts…disait-il.
Cette passion philosophique extraordinaire l’a maintenu debout jusqu’à la fin de sa vie et ses derniers projets tournaient autour d’une œuvre, avancée mais inachevée, titrée « Philosophie et Religion »…Religion…
Comme nous a dit Jorge, avec ce titre et connaissant Oward peut-être que quelqu’un là haut l’a mal pris…
Je ne ferai pas l’énumération de ses livres.
Il sera possible d’alimenter un site web où les livres de Oward seront mis à la disposition des étudiants et des curieux ; lui, tout consacré à la réflexion et l’écriture n’a pas eu le temps de le faire… !
Très tôt, il s’initia aux secrets et mystères de l’informatique, du traitement de texte. Ainsi il a pu laisser ses machines à écrire (dont il gardait toujours un exemplaire en état de marche…au cas où) et donner une nouvelle impulsion à son œuvre.
Je dois dire qu’il était sans le savoir l’inventeur depuis Mendoza du concept moderne d’hypertexte. Ceux qui connaissaient son bureau peuvent l’attester : ses livres notés, re-notés avec une écriture minuscule, souvent avec des couleurs milles fois différents, qui renvoyaient à d’autres textes, dans d’autres livres étaient de sortes de mille-feuilles de science et de savoir.
Précurseur du post-it avant la lettre, il ajoutait des pages de son cru aux œuvres des plus grands auteurs et ses commentaires venaient compléter les critiques, les traductions et les explications des autres philosophes ; après un passage chez Oward, les livres voyaient leurs pages se multiplier…
Mais il n’y avait pas que l’écrit, j’évoque aussi la qualité et la richesse de sa conversation. Certains ici peuvent en témoigner. Il aimait en particulier prolonger les moments de sobremesa, après les repas, autour d’un verre ou ces derniers temps surtout d’une énième glace…
Alors les sujets s’entrechoquaient, rebondissaient.
Les sujets les plus sérieux : le foot, le vin, les amis, Mendoza, ses petits enfants… ou alors d’autres sujets plus rigolos : la critique de l’Etat libéral ou la crise de la raison !
En tout cas, dans un cas comme dans l’autre, la conversation avec lui était animée, et, en tête à tête, au téléphone ou par internet, toujours émaillée d’humour, de piques, de provocations…et de rires.
Il n’était pas mélomane ; quand il écoutait de la musique sa préférence allait vers les milongas et quelques vieux tangos que nous écoutons aujourd’hui.
Aussi, je pense avoir l’assentiment de mes frères si je dis que Papá était à l’Université un pédagogue rigoureux et à la Maison, un rigoureux pédagogue.
Ainsi il nous a fait grandir. En ce qui me concerne, même très opposé à mes « choix de vie » entre, mettons 15 et 23 ans, il n’a pas cherché à les contrarier. Il me donnait son avis argumenté, parfois vif et virulent, mais il respectait mon choix. Tout en marquant son désaccord il laissait faire. Nous apprîmes à être responsables de nos actes ou de nos passivités ; ça ne fut pas toujours facile…surtout pour lui !
Ses récents voyages en Argentine, tardifs, lui ont permis de retisser des liens intellectuels et affectifs avec les survivants de son époque, avec sa famille, à Buenos Aires, Mendoza, Mar del Plata. Ce furent de moments d’une très intense émotion.
Papá était très discret sur ses expériences de vie, ses blessures et ses sentiments et il n’aimait pas se poser en victime ni faire étalage de ces cicatrices. Mais il n’oubliait pas !
Les souffrances de la prison, de l’exil et de la négation à lui redonner sa juste place universitaire restaient toujours ouvertes. Toutefois, ses voyages en Argentine et la publication de ses livres par la maison d’édition de « son » Université de Cuyo ont été un réconfort mérité.
Dès son arrivée en Europe, en 1975, il a fallu qu’il cravache dur pour travailler et faire vivre les siens. Heidelberg, Toulouse, Colmar…Travail. Travail. Travail.
Nous aurions aimé que tu puisses être un petit peu plus avec tes petites filles, Evita, Brenda, Clara… tes Perles disais-tu. Aussi avec Ramiro, ton footballeur débutant.
Oui, nous aurions aimé… et je sais que Marie-Ange et Martine pourraient dire autant, elles aussi auraient voulu mieux te connaître.
Papá avait des défauts, certainement, je n’en parlerai pas…l’amour est plus fort, beaucoup plus fort ; ça restera entre nous, ses proches.
Ces derniers mois à Toulouse, face au beau Jardin des Plantes, Papá vivait avec Conchita qui l’a soutenu, accompagné et aimé sans retenue.
Il a pu grâce à Conchita finir sa vie au milieu de ses compagnons les livres, de ses manuscrits, de ses photos et de « son monde » comme il aimait dire, et toi Conchita, tu faisais partie de son monde.
Papá :
Voici les vers d’Antonio Machado que tu aimais tant :
« Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
Caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace el camino,
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar ».
Nos pensées vont vers celles et ceux qui, à Mendoza, Mar del Plata, Buenos Aires, Colmar, ne peuvent pas être avec nous et qui aimaient Oward.
A vous tous, merci. Votre présence est très importante.
Toulouse, le 16 janvier 2010. »
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