toutautomatix
admin | 3 mars 2010Un jeune ami me charrie à cause de mon hostilité aux « îlots de caisses automatiques » qui se multiplient dans les grandes surfaces, assurément il y voit la confirmation de mon grand âge et de l’inévitable hostilité au progrès qu’entraine la sénilité. Il n’a pas complétement tort. Je ne suis pas sur d’avoir jamais cru que le progrès technique était automatiquement ( 🙂 ) synonyme de progrès humain, mais en tout cas ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Mon hostilité est celle d’un « pratiquant » assidu des grandes surfaces. En effet mon village est dépourvu de commerces de proximité. Il y demeure un café (que je vous recommande, le patron est sympathique, accueillant et jeune, et les repas servis le midi très bien, même si j’ai rarement l’occasion d’y manger), un salon de coiffure, une boulangerie, une pizzeria (très bien aussi) et … deux instituts de beauté. Je vais certes dans les villes alentours faire vivre « le petit commerce » ou les marchés, mais indéniablement, la solution de facilité l’emporte le plus souvent.
Pas davantage au supermarché qu’en ville, je n’aime faire mes courses à la va-vite. Proie rêvée, je fais alors tous les rayons même quand je ne suis venu chercher que du lait (que je peux le cas échéant oublier de prendre). Je prends mon temps dans 90% des cas.
Je ne suis pas davantage pressé en caisse. Je pars du principe, que quelque soit la caisse choisie, il arrivera un incident qui retardera mon passage. Je prends cela avec philosophie, achetant souvent de quoi lire si je suis seul, papotant si je suis accompagné, le temps passe à de rares exceptions près assez vite. C’est aussi un moment privilégié pour observer les gens, un peu comme à la terrasse d’un café ou dans un restaurant. Je trouve les gens dans leurs habitudes quotidiennes passionnants. Et l’idée que je sois moi-même observé par quelque intello rêveur ne me gène pas outre-mesure.
J’aime regarder, écouter, imaginer. En général j’oublie assez vite mes observations, et ne m’étant depuis longtemps pas mis a écrire de la fiction, tout cela est juste un passe-temps un peu vain. Les courses ne sont donc pas pour moi un moment de contrainte ou de souffrance (sauf évidemment à la fin du mois, lorsque je regarde mon relevé de compte).
On y observe beaucoup de solitude. Des « clients » viennent parfois plusieurs fois par jour, d’autres choisissent toujours la même personne en caisse, quelque soit la longueur de la file. Celle qui, aimable quelque soit l’heure, leur parle gentiment, les reconnaît, leur sourit.
Pour certaines personnes ce contact humain est le seul de la journée. Je ne verse pas dans le Zola, la solitude est un mal qui ronge de très nombreuses personnes autour de nous. Un mal qui ne concerne évidemment pas les managers de grandes surfaces. Une caissière n’est pas jugée en fonction de son humanité, de la sympathie qu’elle dégage mais en fonction de sa rapidité en caisse, sa capacité à évacuer le client, une fois les courses encaissées.
Aujourd’hui le choix des îlots de caisses automatiques est facultatif. On voit encore beaucoup de personnes choisir – comme moi – les caisses « chariots », en raison de ce refus du tout automatique. Le refus de ce degré supplémentaire d’inhumanité est un réflexe qui je crois a peu à voir avec le refus du progrès mais certainement avec l’âge. Mais assez vite les personnes ayant moins de 10 objets seront dirigés vers ces caisses, soit par des gentilles hôtesses, ou d’aimables vigiles, soit par la pression exercée à travers les regards et les remarques par les autres clients « à charriot » qui se verront ainsi retardés… Curieuse inversion d’un phénomène qui voulait que les « clients à charriot » « bien éduqués » laissent passer devant eux les gens n’ayant que quelques courses.
Ajoutons que ceci se fait sans répercussion sur les prix, mais certainement sur les marges des grandes surfaces. Dans une caisse automatique, ce n’est plus un employé qui fait le travail mais le client, bien sur une personne est là pour « aider »… ou pour surveiller? Les deux bien entendu…
Je ne pense pas que la disparition du poinçonneur dans les métros, dans les bus et le remplacement de tous ces postes par des portiques, des vigiles, des agents de sécurité, de surveillance contribue à humaniser notre société.
Alors pour toutes ces raisons, je mène ce combat solitaire et don-quichottesque aux yeux de mon ami, contre les caisses automatiques, en refusant simplement d’y passer.
Mais le point de vue du « client » ne saurait être le seul pris en compte; Celui du salarié doit bien évidemment faire partie du raisonnement. Non pas ce que nous pouvons imaginer, mais bien le point de vue de celles et ceux qui réellement travaillent dans ces conditions. Par définition les métiers qui peuvent être remplacés aujourd’hui par une machine, sont des métiers assez mécaniques et répétitifs: saluer, prendre un objet sur le tapis, le scanner, passer au suivant, demander le moyen de paiement, dire au revoir, etc.
Le stress ressort de cette répétition, et de la double pression exercée par les managers et par les « clients » pressés, bougons, qui pour beaucoup ne distinguent pas le tapis roulant de la caissière.
La souffrance au travail est bien présente, le turn over relativement important chez le personnel, et leur perception des caisses automatiques est de fait plus contrasté que le mien.
Ainsi alors que je considère ça comme un forme de harcèlement, la présence sous les yeux des employés de caisse de ces machines, réelles épées de Damoclés sur leur emploi, prémisses des caisses « chariot » de demain, ce point de vue n’est partagé que par 44% des employés de caisses des grandes surfaces… non dotées de ces îlots.
Alors que je crains la perte de contact progressif avec la clientèle, elles ne sont que 33% à penser ainsi.
Mais surtout 81% des personnels des caisses travaillant dans une grande surface pourvu des caisses automatiques approuvent le système, pour les raisons suivantes:
# 56% affirment « mon travail évolue et mes responsabilités également »,
# 50% « le client est plus autonome » ou « attend moins »,
# 44% reconnaissent « j’ai plus de disponibilité pour mes clients »,
# 38% jugent leur travail « moins stressant » qu’auparavant,
# et pour 31% « mon planning est optimisé ».
Cette étude peut-être contestée. La personne qui la mène l’admet elle même, « ce n’est pas une étude réalisée par un institut de sondage officiel » (ce qui ne serait pas davantage une garantie). Elle « a interviewé un échantillon d’une centaine de caissières d’enseignes et de régions différentes (entretiens face à face – août et septembre 2008) pour recueillir leurs sentiments et attentes sur l’introduction des caisses automatiques. Certaines travaillent dans des magasins équipés de ces systèmes alors que d’autres n’en ont qu’entendu parler. » De plus cette étude a été menée dans le cadre d’une vaste enquête auprès des décideurs des grandes surfaces par Wincor Nixdorf fabriquant de… caisses automatiques, même si l’enquêtrice n’est « pas employée par l’entreprise Wincor Nixdorf […] et n'[a] pas été rémunérée pour cette étude. [Elle tenait] seulement à profiter de [sa] position pour faire entendre la voix des caissières. »
On ne peut se contenter de disqualifier l’étude ni la perception des salariés. Ce genre d’étude mérite d’être considérée. Il faut bien entendu aller plus loin, en interrogeant notamment les organisations syndicales….
Pour clore provisoirement ce post une remarque, en cette période de campagne électorale officielle (depuis lundi dernier) : jusqu’à quand tolèrera-t-on la privatisation des espaces d’achat et l’interdiction faite aux organisations politiques, associatives de rencontrer les citoyens et diffuser du matériel d’information?
Et pour une touche plus locale, comment tolérer qu’on projette encore de construire des lieux de travail sous les lignes haute tension, qui étaient jugés – notamment par notre maire – comme si néfastes jusqu’en mars 2008?
Autant de sujets de posts à venir, en attendant je vous recommande un petit tour sur le blog: http://caissierenofutur.over-blog.com/ on y trouve plein de choses intéressantes, amusantes ou discutables 🙂 dont l’article rapportant l’enquête et les commentaires très intéressants qu’on y trouve.
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