Moral(es)
admin | 8 octobre 2010J’ai le moral en berne. Le moral politique s’entend. Celui qui ne commande pas heureusement ma bonne humeur. Depuis des décennies je constate impuissant la méconnaissance patente des militants de gauche, dans leur immense majorité, pour ce qui se passe réellement hors de la métropole. Rarement un regard est porté sur ce qui se fait ailleurs, sur les expériences menées, les réussites ou les échecs, le contexte, … Les militants ont une excuse, ils manquent de temps entre leurs vies personnelles, professionnelles et le nombre et l’ampleur des combats à mener ici et maintenant. Mon parti a un secteur international qui pourrait aider en irriguant d’éléments nos fédérations et sections mais cela ne semble pas encore être la priorité.
Le plus énervant et démoralisant dans tout cela est de voir l’utilisation, en toute méconnaissance de cause, de ce qui peut nous parvenir aux oreilles de l’actualité internationale, comme argument ou contre argument dans le débat franco-français.
Ainsi à l’heure où j’écris se répand la nouvelle de l’abaissement de l’âge légal de la retraite en Bolivie. Elle passe de 65 à 58 ans. Évidemment, voilà tout désigné, en France et en Espagne le nouvel héros des militants anti-reformes de retraites. Excellente et indispensable reforme dans un pays ou l’espérance de vie moyenne était en 2008 de 65,7 années selon la Banque Mondiale et de 66,8 selon … la CIA! Espérance de vie réduite à 64,2 pour les hommes. Bolivie où le pourcentage de plus de 65 ans est de 4,5% de la population soit 420000 personnes en 2010, l’âge moyen y est de 22,2 ans! Cette reforme prend en compte la pénibilité notamment pour les mineurs de fond… ils pourront partir a 56 ans, et les années travaillés après 51 ans compteront double. Le secteur minier étant extrêmement important en Bolivie depuis l’arrivée des espagnols, cette mesure n’a rien de symbolique.
Bravo Evo Morales pour cette réforme juste, et il est fort à parier que les travailleurs boliviens devront mener bien des batailles dans les décennies à venir pour que la reforme ne soit mise en cause. Je dis bravo parce que je suis un sale réformiste. Si j’étais un vrai révolutionnaire je ne manquerai de dénoncer cette mesure démagogique et sans portée. En effet l’espérance de vie d’un mineur en Bolivie est inférieure à 45 ans. En conséquence très peu atteindront les 51 ans pour voir leurs années de travail compter double, et encore moins parviendront à toucher au moins un mois de retraite.
Alors de grâce, chers camarades, chers amis: un peu de décence. Venir comparer cette mesure bolivienne avec ce qui se passe en Europe est – je pèse mes mots – indécent. Pire c’est pour n’importe quel citoyen un peu censé un argument choc facile a retourner et contraire à notre défense de la retraite. Si le cadre de référence de la pénibilité est le travail dans les mines boliviennes, je ne connais heureusement pas beaucoup de métiers en Europe qui rentreront dans les critères. Si la question est démographique, c’est à dire un âge de départ à la retraite de 10 % inférieure à l’espérance de vie à la naissance, l’âge de la retraite devrait en France être fixée à 73 ans. Après tout il n’y a pas de raison que la droite se montre plus intelligente que nous et fasse la fine bouche et n’use de tels arguments!
Le combat pour les retraites en France est légitime au vu des gains de productivité, du taux d’emploi des « seniors », du chômage des jeunes, etc. Il correspond à un choix de société où le travail rémunéré n’est pas l’alpha et oméga du vivre ensemble. Il est inutile d’aller chercher un des pays les plus pauvres du monde comme alibi.
Soyons dignes, battons nous pour que la gauche revienne au pouvoir et soit majoritaire en Europe, pour qu’une politique de soutien active se mette en place vis a vis des gouvernements qui améliorent les conditions sociales et démocratiques dans leur pays et cela sans s’octroyer un droit d’ingérence… on peut rêver, non?