Manipulation
admin | 15 octobre 2010En 1983 des étudiants sont entrés dans le lycée Raymond Naves de Toulouse pendant la recréation du matin et ont appelé avec des mégaphones a rejoindre le mouvement de grève des étudiants contre la réforme Savary des universités, abolissant notamment la sélection à l’entrée. J’ai écouté et je ne suis pas allé en cours, je suis allé à une « réunion d’information », une assemblée générale quoi, qui se tenait à l’université de sciences sociales. J’ai écouté encore. Puis je suis rentré chez moi. Le lendemain j’étais en cours. Je n’étais pas d’accord avec ce que j’avais entendu la veille. Je comprenais bien en revanche pourquoi ces jeunes gens étaient pour la sélection.
Mitterrand était président, la droite avait en ligne de mire Savary sur tous les fronts. Réforme des universités, et depuis 1982 elle attaquait les projets successifs de loi visant à mettre en œuvre une des 110 propositions, la numéro 90 si on en croit mes sources: « La création d’un « grand service public unifié et laïc de l’éducation nationale », dit « grand SPULEN » ». Si la mobilisation contre la réforme universitaire fit flop, la droite trouvera avec le SPULEN (bien en deçà pourtant des objectifs de la proposition 90 de départ à force de réécriture et concertations) l’occasion de mobiliser. Durant tout le débat se multiplieront les manifestations aussi bien pour que contre le projet. Une manifestation nationale « décentralisée » en faveur de l’école laïque se trouvera être ma première manif, la seule aux cotés de mon père.
Mais le 24 juin les partisans de l’école libre réunirent deux millions de personnes à Paris. 550000 selon la police. Des évêques, dont Jean-Marie Lustiger, Jean Vilnet, président de la Conférence des évêques de France, et Jean Honoré, apportent ostensiblement leur soutien aux manifestants. Simone Veil, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chaban-Delmas, mais aussi Jacques Chirac à la tête de la majorité du Conseil de Paris, défilent dans la rue, donnant à la manifestation un caractère politique. Jacques Chaban-Delmas évoque « une société totalitaire dont [les manifestants] ne veulent pas ». Je vous invite à regarder le journal du soir d’Antenne 2 de l’époque. Regardez bien les images, les arrières plans, la diversité des âges présents… Écoutez bien les commentaires sur les motivations de la manifestation. Je me souviens que pour réussir cette manifestation l’épiscopat, les mairies de droite, mirent des bus à disposition, si je ne m’abuse leur journée fut donnée aux élèves du privé qui furent conviés à se joindre au cortège.
Je n’étais pas d’accord avec eux. Mais leur mobilisation était réelle et massive. Le président Mitterrand en tira les conséquences le 14 juillet. il annoncera le retrait de la loi. Savary démissionnera, Mauroy sera remplacé quelques jours plus tard. Voyez là encore le journal du 17 juillet.
Une défaite amère pour la gauche, en parallèle les divergences économiques font voler en éclat l’union de la Gauche. Longtemps – y compris au sein du PS – on reprochera le recul face à la mobilisation de la droite.
Il convient de s’en rappeler aujourd’hui. A la fois sur les suites à donner au mouvement, mais aussi pour relativiser le sempiternel discours entendu depuis 1986 dans la bouche de la droite sur le pouvoir de la rue, sur la jeunesse, sur les prises en otage des usagers, sur les manipulations, et sur la droiture dans les bottes.
François Mitterrand n’a pas eu besoin de jouer le pourrissement, d’exhiber les forces de l’ordre, ni de faire pression sur les médias. François Mitterrand présidait la France, Sarkozy dirige son camp.