Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… (Marguerite Duras)
admin | 21 juin 2011Le 07 juin dernier en sortant de la douche, (nu? oui évidemment, pourquoi? ah! … non, non rien à voir, je commente pas l’actualité…) j’eus un choc. Alors que je méditais sur mes 44 ans… que je pensais à ma fille, à ses 7 ans célébrés récemment… à son entêtement à vouloir dormir avec ses parents, et au mal de dos qui en découle…
Soudain me remontèrent, en même temps que les larmes, les images de cette nuit enfouie au plus profond de moi.
Je ne sais plus quel jour, quelle année même, c’était. J’avais probablement 5 ou 6 ans. C’est un sujet dont on parle peu, ou pas dans la famille. Non que ce soit un secret. Tout le monde est au courant, mais on l’évoque furtivement, évacuant vite le sujet, sans rentrer jamais dans les détails – du moins en ma présence. Les souvenirs qui me remontent : c’est un rêve brutalement interrompu par un bruit terrible, c’est mon réveil dans la chambre de mes parents, où je dors à coté de ma mère. C’est ma mère qui me dit de rester là, de ne pas bouger. Du bruit encore, des voix, des cris, je sors de la chambre, traverse le couloir, descend l’escalier en pierre et observe plein de gens, du verre cassé partout, des hommes en uniforme, je crois, ma mère revient vers moi et après je ne sais plus. Plus rien. D’ailleurs le peu que je crois savoir, ces images qui me remontent avec une telle force je ne sais même pas si ce sont de vrais souvenirs ou une sorte de reconstitution, construite au fil du temps avec le peu d’indices fournis, élaborée par un subconscient sadique. En tout cas aucun autre souvenir de cette nuit qui dut être si longue. M’a-t-on couché quelque part et j’ai dormi, m’a t-on amené ? Chez un voisin? Chez des amis? Qu’avons nous fait cette nuit là? Le lendemain?
Cette question de la mémoire me taraude de plus en plus. A mesure que je vois des personnes se souvenir de détails remontant à leurs 04 ou 05 ans. Et moi rien ou si peu. Est-ce parce qu’ils se souviennent réellement, ou parce que les anecdotes familiales ont été encore et encore répétées jusqu’à finir imprimées comme de réels souvenirs ?
Toujours est-il que de cette nuit, celle de l’attentat à la bombe contre notre domicile, comme de tant d’autres choses arrivées avant… avant le départ en exil, on les évoquait peu ou pas. Certainement pour ne pas ajouter l’évocation d’un bonheur à tout jamais perdu à la douleur si vivace, chez ma mère notamment, de notre exil. Pour les bombes suivantes deux je crois, nous n’étions plus là.
Bien sur il m’est déjà arrivé par le passé de penser à cela: un simple pot d’échappement défectueux suffisait à me faire sursauter. Lors de mes « trois jours » le médecin militaire me fit part d’un dysfonctionnement de mon audition. Il précisa être certain que cela avait été provoqué par une puissante déflagration. « Avez-vous souvenir d’un tel événement ? » Après un bref silence je répondis stupidement : « vos collègues argentins on posé une bombe à mon domicile quand j’étais enfant.»
Mais à cette exception là, en général j’adopte l’attitude familiale traditionnelle, j’évacue vite le sujet, et évite de chercher à me souvenir. Mais pour la première fois de ma vie, ce 07 juin 2011, pensant à ma fille, je pleure, je me souviens et ne cherche pas repousser les images qui remontent.
Jusque là j’ai toujours considéré que cet attentat avait visé mon père, mes frères. Là je réalise qu’il aurait suffit d’un terrible concours de circonstances : que je me réveille, que j’entende un bruit et aille à l’autre bout de la maison au mauvais moment, où que je descende voir si mon frère était là… c’est sa chambre qui sera la plus dévastée par l’attentat.
Il m’aura fallu attendre 37/38 ans pour réaliser que j’aurais pu mourir cette nuit là. Je détestais les 3A, les militaires argentins, les fascistes pour le mal qu’ils avaient fait à notre peuple, à ma famille mais jamais je m’étais considéré comme une victime. Enfant j’étais, étranger à tout cela, et jamais jusque là je ne m’étais posé les questions ainsi. Certes je garde comme souvenir très fort ce retour de l’école. La maison rangée comme jamais. Je cours vers ma chambre, poser mon cartable et reprendre la construction de ma ville en « légo » là où je l’avais laissée. Je me souviens découvrir ma chambre parfaitement rangée. Rien, rien par terre. Je me souviens de ma colère, de mon énervement total, violent. Plus tard on m’expliquera que ce jour là la police était venue perquisitionner, qu’ils avaient tout mis sans dessus dessous, cassé ma ville… Ma mère? Ma grand-mère? Angela? Alicia? avaient tout rangé pour que jene me rende compte de rien…
Quand on est enfant on passe à coté de tant de choses. On nous protège tant qu’on peut, et puis en grandissant on s’accommode de cela et on prend le relais, on continue à se protéger, à préserver l’enfant que l’on a été et que l’on garde au fond de soi.
Mais là ce qui m’explose à la figure, c’est que ce que j’ai vécu, enfoui et qui cherche à sortir, ce qui m’est arrivé quand j’avais l’âge d’Evita. Ma petite puce, pourra encore longtemps venir dormir auprès de ses parents, sans que papoune ne trouve à redire. Maintenant il sait enfin pourquoi, contre tous ses principes théoriques, vers quatre heures du matin il dit d’accord à la sollicitation de sa princesse.
[…] perdon, ni olvido : justicia admin | 22 juin 2011 Depuis ce 07 juin 2011 évoqué dans mon post de hier, malgré un emploi du temps professionnel quelque peu chargé, je repense avec ce nouveau regard […]