Même pas peur ?! (première partie)
Avertissement: Je vais essayer dans les jours et probablement semaines qui viennent de mettre par écrit, puis progressivement en forme, un certain nombre de « choses »: idées, ressentis, intuitions, réflexions… Je ne sais quelle forme cela prendra. C’est un fil que je tire, d’une pelote dont je ne connais la longueur. Je garde toujours à l’esprit l’objet principal de ce blog, laisser à ma fille une part de moi. Je veux au travers de cette série d’articles, essayer de lui montrer le cheminement que je poursuis avant d’arrêter une conviction. Essayer de rendre transparente un des volets de ma ligne de conduite que j’essaye de respecter et qui m’a permis d’avancer et me supporter: 1 Réfléchir – 2 débattre – 3 décider 4- mettre en œuvre 5-exercer son droit d’inventaire. J’ai un esprit torturé diront certains, vagabond selon les plus amicaux. Cette règle, pour mécanique qu’elle paraisse parvient à me cadrer. Je ne sais si cela sera de quelque utilité à ma fille, mais j’éprouve ce besoin d’instaurer un échange entre celui que je suis aujourd’hui et celle qu’elle sera demain. Piètre illusion probablement, mais réel besoin. Je vous fais, les quelques spectateurs volontaires, les témoins de cette démarche. N’hésitez pas à commenter, parce que nous ne sommes pas de trop pour établir des ponts.
Même pas peur ?!
La première fois, ce fut en 1986.
Je crois que je l’ai déjà évoqué ici. Après l’assassinat de Malik Oussekine. Moi l’athée, bouffe curé, antireligieux primaire, secondaire et tertiaire, me suis rendu dans une église du quartier latin. Je me suis assis. Et suis resté là sans bouger une heure ou deux, longtemps en tout cas.
Mon anticléricalisme chevronné, se basait, plus encore qu’aujourd’hui où le temps me manque et ma mémoire défaille, sur une lecture attentive de quelques théologiens. Or au fil du temps le lieu de culte s’est « perfectionné » pour utiliser tous les ressorts de l’architecture à établir un pont avec Dieu.
Ne pas croire en Dieu, ne pas être « dupe » du décorum et du medium, n’enlève rien au génie humain qui fait de ces lieux de culte espaces les plus propices à la méditation.
Un homme venait de mourir. Effet collatéral d’une action militante à laquelle je participais très activement. J’avais appelé à la grève. J’avais appelé à manifester. J’avais incité mes semblables à s’opposer au gouvernement. Pas seul bien sûr. Un parmi d’autres. Mais je l’avais fait. Mesurais-je la portée de mes appels? Mesurais-je ma responsabilité dans les injonctions que j’avais émises?
Alors dans cette église vide, après une troisième ou quatrième nuit blanche, je me suis assis. Pas agenouillé, mais il se peut que l’idée m’ait effleuré. J’ai médité. C’est une singulière expérience que la méditation. Une expérience dont on sort différent. Il n’y a là rien de mystique. Il n’y a là rien d’irrationnel. Au contraire même. Le cerveau humain est absolument fantastique. La puissance du raisonnement surpasse tous les super pouvoirs dont on peut rêver.
Je suis sorti de cette église. Différent, donc. Ni coupable, ni innocent. Simplement conscient.
Après je suis allé dans un café. Et j’ai écouté les gens. Longtemps. Tout le monde opinait. Certains s’engueulaient. Mais pas grand monde ignorait, qu’à quelques rues de là un homme était mort. Tout le monde avait un avis. Tranché.
Tous ces avis-là, je les avais entendus dans mon cerveau à l’Église avant de me rendre dans ce café. La méditation m’avait permis de trier, hiérarchiser, ranger les arguments. Il ne s’agit pas de récuser, de se rassurer, ou de paniquer. Juste ordonnancer, canaliser les flots. Apaiser pour pouvoir penser et agir, en cohérence avec sa conscience.
Alors ce que j’entendais: « il l’a bien cherché » « comment peut-on laisser son gosse sortir en ces circonstances », « salopards de flics »… tous ces propos dont certains plus hardcore que cela, je pouvais les entendre, les analyser… Je m’étais durant deux heures autorisé à ce que mon cerveau exprime tout, et il est allé bien au-delà du pire entendu dans ce lieu fascinant qu’est un café parisien.
Evita, ma fille, ce matin j’ai demandé à ton frère de t’accompagner au collège, pour aller dans l’Église de Vert le Grand. Elle était fermée. Je suis allé au café. Et j’ai écouté.
A ne pas faire les choses dans l’ordre on s’expose à ne pas pouvoir écrire « Même pas peur » sans un point d’interrogation avant le point d’exclamation. Alors j’écris pour trouver ici le chemin de la méditation, et essayer de te montrer que chacun d’entre nous a besoin de son Philosophenweg…
Mais parce que je t’aime. Parce que je t’écris. Parce que tu existes, je sais que je peux laisser le point d’exclamation. Et cette énergie que tu me donnes vaut toutes les Églises du monde.


