« Chaque promesse non tenue est une nuée sans pluie, une épée sans fil, un arbre sans fruit. »
admin | 29 juillet 2013Je devais avoir 16 ou 17 ans. Je détestais les étudiants de mon père qui venaient à la maison. Étudiants en thèse le plus souvent, quelques fois en premier cycle. Mon père pratiquait la philosophie avec prosélytisme, cherchant a convertir ces jeunes parfois arrivés en philosophie le temps de faire un vrai choix, parfois pour énerver leur propres parents, ou encore parce qu’ils avaient pris les cours du lycée pour de la vraie philo.
Si je les détestais c’est parce que je ne voulais être comme eux… puisque je refusais d’être comme mon père, mais surtout je détestais cette phrase qu’immanquablement ils croyaient tous nécessaire de prononcer: « tu as bien de la chance d’être le fils d’un philosophe »…
Parmi ceux là deux surent vaincre ma détestation spontanée, et restèrent à vie en ma mémoire. Les deux avaient des parcours atypiques.
L’un devint un copain jusqu’à ce que la vie nous éloigne et que l’on se perde de vue.
L’autre disparut des radars assez vite. Il avait repris ses études sur le tard, et je ne sais aujourd’hui s’il est encore en vie. Toujours est-il qu’en cette période pas simple de ma vie, il sut trouver les mots pour m’amadouer et me faire progresser. Avant de disparaître de nos vies, à mon père et à moi, il m’offrit un livre en me demandant de lui promettre de le lire. C’était un livre qu’il avait essayé de « travailler » comme mon père leur enseignait. C’est donc riche de ses annotations que je pris l’ouvrage et fit la promesse.
Il me suivit dans tous mes déménagements depuis (une bonne quinzaine). Passant successivement de carton en bibliothèque et réciproquement 30 ans durant… sans que je ne l’ouvre.
Il en va ainsi d’un certain nombre de livres qui sagement dans la bibliothèque attendent leur heure.
Ma bibliothèque m’est aussi précieuse par ces livres lus, et dans laquelle une mémoire visuelle me permet souvent de retrouver l’emplacement d’un passage nécessaire que par ces livres en attente qui le moment venu sauront accourir à ma rescousse.
Si je n’amène une valise pleine comme le faisait mon père lorsqu’on partait à la mer, j’amène mon carton pour que j’aie du choix… au cas où!
Le moment de tenir ma promesse est venu. Je faillis commencer le soir du limogeage de Delphine Batho, mais je le mis en réserve pour les vacances. Le moment de lire Haroun Tazzief et son « ouvrez donc les yeux » est enfin arrivé.
Ma promesse sera tenue, mais j’ignore même si celui à qui je la fis est encore de ce monde…
[…] j’ai mis tant de temps à tenir ma promesse, ce n’est pas parce que je l’avais faite à la légère. Il n’est de plus beau […]